« Ahouvi » autopsie d’une rupture de Yuval Rozman
Troisième volet de sa Quadrilogie de ma [...]
Victor de Oliveira interprète avec un éblouissant talent l’autofiction sociale qu’il a écrite : un spectacle d’une clarté, d’une lucidité, d’une délicatesse, d’une dignité et d’une intelligence rares.
Être humain, c’est être ce qu’on n’est pas et ne pas être ce qu’on est. Est de mauvaise foi celui qui s’invente une définition et s’y réfugie. Facile d’intégrer la vulgate existentialiste quand on n’est pas menacé par le regard des autres ! Relativement facile, également de régler les relations entre la peau noire et les masques blancs quand on se reconnaît dans les taxinomies racistes, même quand on les condamne. Beaucoup plus difficile, en revanche, de trouver sa définition quand on est dans les limbes, Noir chez les Blancs et Blanc chez les Noirs, « Noir à la peau blanche, aux yeux bleus et aux cheveux blonds », comme l’était l’écrivain et militant américain Walter White. Victor de Oliveira, né au Mozambique, grandi au Portugal et vivant à Paris, évoque ce même équilibre instable en racontant son histoire, composée avec la collaboration dramaturgique de Marta Lança : celle d’un homme aux origines plurielles, descendant à la fois des esclaves et des colons, et dont les grands-pères étaient blancs européens, les grands-mères noires mozambicaine et indienne, les arrière-grands-parents juifs portugais, mozambicains Makondé, indiens de Goa et chinois de Canton.
La traversée des frontières
Enraciné sur scène, le regard perçant fiché dans celui du public, Victor de Oliveira parle clair et droit. Simplement ; calmement. Avec une force remarquable, comme si rien ne pouvait le faire vaciller, tandis que virevoltent sur l’écran du fond de scène les origines et les prénoms de sa parentèle. Il faut construire sa maison, dit Nietzsche dans Aurore, là où l’on a quelque chose à transmettre, là où une puissante douceur s’empare de celui qui peut dire ubi pater sum, ibi patria. L’évidence de la présence scénique du comédien est tellement solide que l’on comprend que le théâtre est sa patrie et la place qu’il a trouvée, malgré l’histoire amnésique du Portugal, aveuglé par la gloire des Lusiades, ou les guets-apens tendus dans les rues de Lisbonne par les abrutis racistes et avinés, borgnes comme le Camoëns ! Les magnifiques images d’Eve Liot, la musique d’Ailton Matavela et les somptueuses lumières de Diane Guérin habillent l’espace scénique, composant un émouvant, hypnotique et palpitant décor dans lequel se déploie le récit. L’humour, la drôlerie, la colère, l’évocation poignante des peurs et des incompréhensions de l’enfance, incapable de répondre à des questions que seuls les adultes se posent les uns aux autres en aboyant : tout participe à fabriquer un spectacle d’une humanité bouleversante, entre épopée et résistance, « traversée des frontières », aurait dit Jean-Pierre Vernant, autre intelligence suraiguë à laquelle celle de Victor de Oliveira rend hommage.
Catherine Robert
Du 8 janvier au 8 février. Du mercredi au samedi à 20h ; le mardi à 19h. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée : 1h15.
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