Sylvain Maurice crée Arcadie, adapté du roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam
Sylvain Maurice crée avec la comédienne [...]
Cette nouvelle création du directeur du Théâtre de La Tempête Clément Poirée confronte deux pièces de Tchekhov, Le Génie des Bois et Oncle Vania. Portée par un très bel ensemble de comédiens, la pièce révèle la portée intemporelle de Tchekhov et magnifie le pouvoir du jeu théâtral.
Voilà bien le génie de Tchekhov, et celui des metteurs en scène qui savent le révéler : ses personnages sont si extraordinairement vivants qu’ils touchent profondément, qu’ils semblent exister par eux-mêmes, indépendamment de toute tutelle démiurgique, de toute fausseté ou artifice… Plongés dans l’ordinaire du quotidien, ils surprennent, réjouissent, désolent, assènent çà et là un coup dans la tête du spectateur aussi brutal qu’un coup de révolver. Il faut dire que le médecin et écrivain est un extraordinaire observateur du métier de vivre. Fasciné par Oncle Vania, Clément Poirée a choisi une voie autre que la simple mise en scène de la pièce, une voie ambitieuse et ludique qu’il parvient à bien maîtriser malgré la complexité de la tâche et quelques imperfections. Dans cet opus d’aujourd’hui, le metteur en scène puise dans deux œuvres distantes d’une dizaine d’années, aux fins radicalement différentes. Dans Le Génie des bois (1889), que Tchekhov qualifie de comédie lyrique, Vania se suicide, et sa disparition laisse place à certaines perspectives : le médecin et Sonia finissent par tendrement s’enlacer. Dans Oncle Vania (1897), Vania rate son suicide ; empli d’amertume et de désespoir, il se remet au travail au côté de Sonia, dans un final qui fend le cœur.
Vertige du métier de vivre
Tout commence par l’installation de deux jeunes scénaristes dans leur « cabane d’écriture », couple en crise interprété avec une belle énergie par Moustafa Benaïbout et Louise Coldefy, qui incarnent aussi Fredo et Elena. Tous deux doivent boucler en cinq jours un scénario intitulé « Le Démon de la destruction », et très vite, des divergences de vue apparaissent. Régulièrement les murs de la cabane s’entrouvrent, place alors aux personnages de Tchekhov, qui au fil de la représentation s’émancipent de plus en plus. Si confronter les deux pièces dans une telle dramaturgie permet d’appréhender le cheminement de l’esprit de Tchekhov, cela permet avant tout d’éclairer au cœur d’un vaste désenchantement le geste d’écriture en train de se faire et le miracle de l’incarnation par les comédiens. Tous sont à la hauteur de l’enjeu. Outre Moustafa Benaïbout et Louise Coldefy, la merveilleuse finesse d’Elsa Guedj en Sonia, l’autoritarisme clownesque de John Arnold en « vieux perroquet » de professeur, le désespoir brut de Thibault Lacroix en Vania, l’idéalisme irrémédiablement déçu du médecin Michael, de même qu’Emmanuelle Ramu en Maria et Tadié Tuéné en Gaufrette forment un ensemble convaincant, qui acte la prise de pouvoir des personnages. Et quelle ironie prophétique d’entendre le médecin défendre les forêts, se désoler du démon de destruction qui sévit de toute part. Aujourd’hui comme hier, le futur est plus que jamais incertain…
Agnès Santi
du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h. Tél : 01 43 28 36 36. Durée : 2h35. Egalement au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN les 1er et 2 décembre 2022.
Sylvain Maurice crée avec la comédienne [...]