« La gaviota » une adaptation libre de La Mouette par Chela De Ferrari
La metteure en scène péruvienne Chela De [...]
Après avoir mis en scène avec succès Les Enivrés d’Ivan Viripaev, Clément Poirée poursuit son compagnonnage théâtral avec le dramaturge russe Ivan Viripaev. Avec précision et tranchant, il expose l’affrontement d’un couple en crise, entre brutalité du ratage et irrépressible besoin de sens.
L’espace est bancal, abîmé, comme les âmes. Impossible à contenir, une bile noire éclabousse les carreaux de la cuisine de Werner et Barbara. Il est cinq heures du matin, et la dispute du couple s’étire, rebondit et se métamorphose depuis dix heures du soir… Clément Poirée d’emblée ancre sa mise en scène dans un espace déréalisé, ludique et pathétique, exposé sous le feu d’un projecteur. L’écriture se démarque des repères du réalisme pour vriller et orchestrer un jeu déroutant, qui ouvre la porte au pire, à la violence. Werner et Barbara choisissent de jouer à se mentir, s’insulter, crier leur mal être et leur dégoût. Paradoxalement, cet affrontement drôle et féroce n’est pas une clôture de l’amour, mais plutôt une quête incroyablement tenace d’un amour enfoui et disparu. Cap au pire donc, toute tentative de compréhension mutuelle étant définitivement vouée à un échec cuisant. Ce qui saisit dans les partitions d’Ivan Viripaev, c’est sa manière singulière d’entremêler et de télescoper la médiocrité affligeante d’un quotidien sans espoir et un irrépressible besoin de sens. Comme une plongée dans le pire de l’existence qui serait néanmoins tendue de toutes ses forces vers une possibilité de beauté.
Un jeu impeccablement maîtrisé
Après sept ans de vie commune, sans enfant, Werner et Barbara vivent une crise aigüe, coincés entre l’impossibilité d’en finir et l’impossibilité de continuer, séparés par une « putain de ligne solaire » qui distingue de manière absolue soi et l’autre, ligne qui « passe quelque part au-dedans tout au fond de nous », et que le metteur en scène malicieusement représente. Au-delà de tout contexte, leurs mots et leurs corps sont tout entiers happés par le conflit et le désir de résolution, exacerbés par l’artifice du théâtre. Sous-titrée Comédie (où il est montré comment il est possible d’aboutir à un résultat positif), la pièce nécessite une interprétation particulièrement acérée, courant le risque du kitsch ou du cabotinage. Les excellents Aurélia Arto et Bruno Blairet, qui faisaient partie de l’épopée dérisoire des Enivrés, déjouent tous les pièges et impressionnent par leur fine maîtrise, leurs soudains contrastes, l’amplitude de leur jeu qui laisse émerger toutes sortes de paradoxes. La partition se joue des frontières qui limitent et enserrent les êtres ; elle célèbre, malgré tout, cette pépite qu’est l’amour.
Agnès Santi
à 11h40. Relâche le lundi. Tél. : 04 84 51 20 10. Durée : 1h25. Spectacle vu aux Plateaux Sauvages à Paris en juin 2024.
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