La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Tout mon amour

Tout mon amour - Critique sortie Théâtre Paris la colline
Laurent Mauvignier

Entretien
La Colline / de Laurent Mauvignier
Mes Rodolphe Dana et le Collectif Les Possédés

Publié le 29 octobre 2012 - N° 203

Après Loin d’eux, le premier roman de Laurent Mauvignier porté à la scène par Rodolphe Dana en 2009, Tout mon amour, la première pièce de théâtre de l’auteur publiée aux Éditions de Minuit, est créée par Dana et les Possédés. L’enterrement du grand-père fait ressurgir la petite fille disparue de la famille.

En quoi cette première pièce, écrite auprès des Possédés, fait-elle davantage théâtre que votre œuvre entière conçue à partir de voix et de monologues ?

Laurent Mauvignier : Dès mon premier roman, Loin d’eux, des metteurs en scène se sont intéressés à mon écriture. Le monologue s’y affirme comme une parole adressée, même si le public est le lecteur dans son intimité. Cependant, mes romans ont des structures qui ne les rendent pas si aisés à adapter au théâtre. Il y faudrait la capacité d’une incarnation, la possibilité d’un « ici et maintenant ». Au théâtre, la langue doit parfois chuchoter pour être entendue très fort. Sur un plateau, les mots sont de la dynamite. Il faut savoir les contrôler davantage qu’on ne le fait dans le roman, où l’écriture est finalement toujours le personnage principal. Là, il faut laisser s’épanouir des éléments de mise en scène, de jeu …  Travailler avec des comédiens qui ont l’habitude de ces relations complexes qu’entretiennent les mots et la façon dont ils résonnent sur un plateau, c’est une expérience irremplaçable pour un écrivain.

 

« Tu sais que les gens normaux seraient ravis de pouvoir parler avec ceux qui viennent de mourir ? » dit le Grand-Père au Père. La fille Elisa se situe entre deux mondes, à moitié en vie et à moitié disparue. De quoi souffrent ces personnages, d’un trop plein de vie ou d’une déficience à réaliser qui on est ?

L. M. : Je ne saurais pas dire si mes personnages souffrent d’un trop-plein de vie ou d’une impossibilité à se réaliser. J’ai l’impression que ce qui agit, c’est cette tension entre les deux pôles, cette force de vie qui se cabre dans un monde qui verrouille la possibilité de l’épanouissement. Et la question de la mémoire et de l’oubli m’intéresse particulièrement. Notre passé nous construit autant qu’il nous aliène. Il faut accepter que les cartes qui nous sont données à la naissance excluent toutes les autres. Je pense que mes personnages essaient de vivre au-delà des limites que leur vie leur a données, malgré cette impossibilité fondamentale à être autre qu’eux-mêmes. C’est pourquoi la question qui les hante est toujours plus ou moins de vivre avec leur passé, leurs traumatismes, bref, d’assumer leur histoire, ou au contraire de la nier, de la rejeter – c’est possible aussi. Ils peuvent choisir l’oubli et préférer la liberté, dans ce qu’elle a de sauvage, de résolument violent. Ici, la mère va jusqu’au bout de cette violence folle qui lui fait refuser l’idée d’une réconciliation.

« Donner à voir les paradoxes, parce que c’est par eux que se dessine l’humanité en chacun de nous. » 

La présence de la Mère apparaît insaisissable et énigmatique, inscrite dans le refus et l’opposition. La Mère dit de sa Fille : « Tout mon amour…, mais c’est elle mon amour, c’est à elle que je l’ai donné, à son absence, à son manque… » Qu’en est-il de la relation maternelle au Fils ?

L. M. : Ce que veut la mère, c’est arrêter le temps. Elle refuse toute continuité, même réconciliatrice, parce qu’elle a décidé que l’histoire n’aurait plus de prise sur elle, jamais. C’est une décision intime, une stratégie inconsciente, animale, de survie. Non seulement elle ne peut accepter que sa fille revienne « autre » que l’enfant qu’elle a été, mais elle ne peut accepter non plus que son fils devienne un homme, qu’il quitte l’enfance. La vérité monstrueuse qu’elle porte, la mère ne la révèle que lorsqu’elle est au pied du mur. Elle ne peut avouer à personne ce qu’elle pense. Mais elle reste une mère, jusqu’à l’être contre elle-même. Elle les protège, son fils, son mari et elle, par un mensonge protecteur, mais qui ne peut que se fracasser à la fin.

 

Les relations de vos personnages au monde sont entières. Comment révélez-vous cette proximité existentielle des êtres ?

L. M. : Les personnages sont comme des sculptures, il faut en faire le tour pour en cerner le fonctionnement. Toutes les facettes peuvent se contredire ; les paradoxes qui en ressortent font apparaître le relief de la personnalité. Voilà ce que j’essaie de faire avec les personnages : leur donner une épaisseur, une tridimensionnalité. Tout le monde a au moins une double vie possible, on peut être un assassin et un bon père de famille, rien n’est incompatible. Le travail, c’est de saisir ces fragments, de les articuler entre eux pour faire surgir l’image d’un personnage unique, qu’il s’agit de regarder sans juger. Il faut donner à voir les paradoxes, parce que c’est par eux que se dessine l’humanité en chacun de nous.

 

Propos recueillis par Véronique Hotte

A propos de l'événement

Tout mon amour
du mercredi 14 novembre 2012 au vendredi 10 février 2012
la colline
15, rue malte Brun 75020

Du 21 novembre au 21 décembre 2012, du mercredi au samedi 21h, mardi 19h, dimanche 16h. Tél : 01 44 62 52 52. Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris. Texte publié aux Éditions de Minuit.
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