Avec « Painkiller », Pauline Haudepin plonge le public et les comédiens dans la baignoire de ses fantasmes
Pauline Haudepin crée sa nouvelle pièce à La [...]
Pluridisciplinaire et international, résolument engagé et novateur, Programme Commun se déploie jusqu’au 24 mars à Lausanne, au Théâtre Vidy, à l’Arsenic, au Théâtre Sévelin 36 et à Plateforme 10. Après quatre ans d’absence, le festival a été lancé le 14 mars dans une atmosphère festive et quasi printanière. Dans un cadre somptueux sur les rives du Lac Léman, le fameux théâtre au bord de l’eau, récemment rénové, a inauguré le festival avec Ceci n’est pas une ambassade (made in Taïwan) de Stefan Kaegi, pièce de théâtre documentaire qui se fait agora instructive et émouvante consacrée à Taïwan, territoire identifié mais mal connu.
Suite à un apéritif à La Kantina, un coup d’œil à l’exposition de photographies de l’artiste taïwanais Yan Goang-ming, place au théâtre documentaire de Stefan Kaegi, déjà accueilli à plusieurs reprises à Lausanne, avec notamment les passionnants Cargo Congo-Lausanne, Granma. Les trombones de La Havane ou Société en chantier. Cette dernière création fait suite à une vaste enquête à Taïwan accompagnée par l’équipe du Théâtre national de Taipei, qui a abouti au spectacle écrit avec et pour trois protagonistes taïwanais. L’activiste digitale Chiayo Kuo, le diplomate retraité David Wu et la musicienne héritière d’une entreprise de bubble tea Debby Szu-Ya Wang ne défendent pas les mêmes points de vue politiques notamment vis-à-vis du passé et de la gouvernance de Tchan Kaï-chek ni les mêmes perspectives d’avenir face à la Chine, mais tous trois sont ardemment désireux de mieux faire connaître leur chère île. Non reconnu par une immense majorité de pays depuis le rapprochement en pleine guerre froide entre la Chine et les États-Unis dans les années 1970, Taiwan, politiquement autonome depuis 1947, vit sous la menace de son puissant voisin, que personne ne souhaite contrarier.
Une ambassade éphémère, espace de partage démocratique
Pour remédier à cette exclusion du concert des nations, Chiayo, David et Debby ont décidé d’ouvrir une ambassade, à Lausanne, au théâtre même, dans ce lieu d’un partage collectif, certes éphémère… Débattant de signes emblématiques tels le nom, le drapeau ou l’hymne national de Taïwan, ils deviennent de touchants ambassadeurs et ambassadrices de leur pays, dévoilant à travers leurs paroles et leurs gestes singuliers des pans de réel méconnus autant que leurs engagements respectifs et des manières d’être et vivre ensemble. C’est une diplomatie de personne à personne qu’ils mettent en œuvre, évoquant çà et là avec finesse les dangers impliqués par l’attachement à la démocratie, s’élevant contre le nationalisme et pour la tolérance. Ce ne sont pas des comédiens virtuoses, leurs dialogues peuvent parfois paraître un peu didactiques, mais peu importe. Délicatement et habilement conjuguées grâce à la mise en scène de Stefan Kaegi, la scénographie de Dominic Huber et la création vidéo de Mikko Gaestel, qui laissent place aux spécificités de chacun, leur présence théâtrale ainsi que leurs paroles engagées s’avèrent aussi intéressantes qu’émouvantes. Alors que la liberté d’expression s’égare et génère en ce moment des propos haineux, cette manière délicate de laisser s’exprimer et de dépasser les divergences accorde à l’agora démocratique une intelligence effective et un certain pragmatisme, sans oublier une dose d’humour !
Rohee, quelle transmission pour le Bharata Natyam ?
En seconde partie de soirée, le performer suisse adepte des nouvelles technologies Simon Senn et la danseuse formée au Bharata Natyam Rohee Uberoi interrogent ensemble divers enjeux liés à l’archivage et l’héritage d’une danse ancestrale, traditionnellement transmise de personne à personne. Dans Rohee, ils tentent ensemble de mettre en forme une captation des mouvements d’un patrimoine immatériel millénaire. Très vite des doutes apparaissent quant à la pertinence de leur démarche commune, quant à l’instance de l’autorité sur un patrimoine figé par une documentation, qui ne révèlerait pas certains aspects d’une identité culturelle faite de strates, manques et traces multiples. Simon présent sur le plateau et Rohee à l’écran font spectacle de leurs échanges très explicatifs, malgré la présence expérimentale d’un petit robot reflétant l’échec de la technologie. Les quelques moments de danse sont bienvenus au cœur de cette enquête à la recherche du sens.
Agnès Santi
Tél. : +41 21 619 45 44.
Pauline Haudepin crée sa nouvelle pièce à La [...]