La Terrasse

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Théâtre - Critique

Julie Timmerman et les siens créent « Zoé », une autofiction autour d’un chaos familial, un chemin difficile vers l’émancipation

Julie Timmerman et les siens créent « Zoé », une autofiction autour d’un chaos familial, un chemin difficile vers l’émancipation - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville
© Pascal Gely

Théâtre de Belleville / texte et mise en scène Julie Timmerman

Publié le 17 février 2024 - N° 318

Après avoir écrit et mis en scène Un Démocrate puis Bananas (and kings), percutant diptyque autour de la démocratie, Julie Timmerman explore le registre de l’intime en faisant théâtre du chaos familial généré par la maladie mentale du père, et du chemin pour s’en extirper.

C’est une plongée dans une enfance minée par les troubles bipolaires du père, jusqu’à ce qu’enfin petit à petit advienne une mise à distance, une prise de conscience, un chemin vers l’émancipation. Zoé, metteure en scène et fille unique de comédiens, rejoue ainsi sur une scène de théâtre les dysfonctionnements, le chaos familial qui n’est pas seulement fait de douleurs, mais aussi d’amour, de démesure, d’une relation au réel tordue, délirante, voire parfois sublimée, entre jours de terreur et jours de merveille. D’abord enfant puis quarantenaire, Zoé remonte le temps en affichant d’emblée l’artifice du jeu théâtral, ainsi que l’indiquent plusieurs adresses directes au public (un procédé qui peut paraître inutile). Pétrie d’émotions fortes et de sentiments contradictoires, la riche partition laisse émerger une multiplicité d’aspects complémentaires qui s’articulent à la maladie du père, au désarroi de la mère, au lien intense noué entre l’enfant et son père « extraordinaire » qui parfois chute dans un abîme, mais qui lui transmet le goût de l’art, la littérature, la justice, la valeur de l’être plutôt que l’avoir, sur fond de mythologie et musique wagnériennes – ce qui pèse face au Club Dorothée !

Tuer le père pour se sauver…

 Le problème, c’est que la petite Zoé se pense comme « la gardienne de son père », capable de le maintenir debout quand il sombre. Une tâche impossible qui la condamne à l’échec, qui lui interdit tout désir et toute liberté. Jusqu’à ce qu’elle s’extirpe de cette folie toxique, aidé par l’ami Victor et le recours à la psychanalyse. On connaît la qualité originale du travail de Julie Timmerman, qui auparavant a abordé des thématiques plus politiques, avec un diptyque autour de la démocratie, Un Démocrate (2016), exposant à travers le parcours du neveu de Freud Edward Bernays (1891-1995) les techniques de manipulation de masse, puis Bananas (and kings) (2020), retraçant l’histoire de la United Fruit Company en Amérique centrale, et interrogeant le pouvoir des multinationales. Dans le registre de l’intime, qui s’appuie de plus sur sa propre expérience familiale, la partition théâtrale ausculte un maelstrom éruptif autant que des tempêtes intérieures, bien au-delà d’un déroulé de faits et circonstances. L’écriture ici se fait donc moins aiguë, moins tranchante ; elle embrasse la complexité et la fragilité des êtres, sans didactisme, sans creuser un sillon. Julie Timmerman et les siens parviennent cependant à faire tenir un édifice théâtral à la fois beau, fragile et dérisoire, qui se fait acte de transmission. Les comédiens et fidèles complices Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Alice Le Strat et Jean-Baptiste Verquin sont formidables.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Zoé
du vendredi 5 janvier 2024 au jeudi 29 février 2024
Théâtre de Belleville
Passage Piver, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris

Du mercredi au samedi à 21h15. Tél. : 01 48 06 72 34. Durée : 1h30.

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