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Théâtre - Critique

David Geselson signe texte et mise en scène de « Neandertal » : une quête inventive, foisonnante, qui nous relie en un récit commun

David Geselson signe texte et mise en scène de « Neandertal » : une quête inventive, foisonnante, qui nous relie en un récit commun - Critique sortie Théâtre saint denis Théâtre Gérard Philipe
© Simon Gosselin Néandertal

Théâtre Gérard Philipe

Publié le 16 février 2024 - N° 318

Dans la lignée d’un théâtre où s’entrelacent subtilement l’intime et l’Histoire, le comédien, metteur en scène et auteur David Geselson crée Néandertal, qui met en scène la quête scientifique d’un groupe de chercheurs sur l’ADN. Un théâtre inventif, pluriel, ludique, qui questionne passionnément et nous relie en un récit commun.

Qu’est-ce qui caractérise le sapiens ? La barbarie ? Le désir de connaissance ? Le regard critique ? Mille autres choses sans doute, et aussi, ici de très belle manière, la faculté de raconter des histoires, de les réinventer, en laissant émerger toutes sortes d’émotions et désirs, en façonnant un puzzle complexe au cœur de l’incertitude de la vie et d’héritages difficiles à gérer. Le théâtre de David Geselson met en fiction le réel, invente de troublants impacts entre l’intime et l’Histoire, orchestre la rencontre vers l’inconnu, et s’attache à faire communauté malgré les tragédies et les blessures. En-Route Kaddish (2014) évoquait son grand-père qui connut les étapes de la construction de l’État d’Israël, Doreen (2016) traversait l’histoire d’amour qui unit André Gorz et sa femme Doreen Keir, Le silence et la peur (2020) éclairait la vie de Nina Simone, porteuse de siècles d’histoire. Dans cette nouvelle quête théâtrale qui se plaît à questionner, les protagonistes forment un groupe de scientifiques qui travaillent sur les origines de l’humanité et plus particulièrement sur l’ADN de Néandertaliens prélevé sur des os, sur ce qui rapproche ou pas Néandertal et Sapiens. C’est la découverte des travaux du biologiste et paléogénéticien Svante Pääbo, Prix Nobel, auteur du récit autobiographique Néandertal, à la recherche des génomes perdus, que le metteur en scène a lu « comme un roman policier », qui a fait naître l’idée de ce spectacle. David Geselson s’est longuement documenté, et librement inspiré de manière sous-jacente de l’histoire de Svante Pääbo mais aussi d’autres figures réelles telles Craig Venter, généticien dont le génome complet a été le premier à être séquencé, Maja Paunović du musée d’Histoire naturelle de Zagreb, Rosalind Franklin, découvreuse de la structure de l’ADN, ou Gregor Mendel, l’un des pionniers de la génétique moderne.

Une partition théâtrale remarquablement orchestrée

À partir de ce matériau, la pièce crée une partition théâtrale remarquablement orchestrée, où l’aventure de la recherche scientifique s’entrelace aux cahots de l’intime, mais aussi aux drames de l’Histoire : l’incursion inopinée de l’amour, un soir dans le noir ; le manque d’un père qui d’emblée interroge de façon aigüe l’idée de filiation ; la guerre en Ex-Yougoslavie et ses corps enterrés ; l’assassinat sidérant de Yitzhak Rabin, qui provoqua tant de tristesse… Sans oublier une exploration plus philosophique, abordant par exemple l’instrumentalisation de Dieu qui devient alors un alibi au service de l’homme et de ses ambitions. Ce qui est frappant, c’est la manière concrète et signifiante dont la mise en scène s’inscrit dans les relations, dans les corps même, créant un théâtre ludique mais aussi bouleversant, sans aucun effet de facilité ou de sensiblerie, procédant par ricochets et effleurements ou alors privilégiant l’affirmation claire et limpide. Pour certains complices fidèles, les comédiens David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël et Jan Hammenecker, en alternance avec Peter de Graef, sont excellents. Très touchante, l’une des chercheuses atteinte d’une maladie dégénérative se fait lors d’une scène poignante fou shakespearien, dont les incohérences volubiles laissent échapper quelques vérités. À l’heure où l’homme se montre capable de modifier génétiquement l’ADN d’un organisme vivant mais aussi de développer des thérapies géniques, où l’urgence écologique mobilise la science et appelle les politiciens à l’action, et alors que l’on n’en a toujours pas fini avec le racisme, la pièce invite à mettre l’accent sur ce qui rassemble plutôt que ce qui divise, à l’instar d’un personnage truculent qui passe allègrement d’une langue à l’autre. Irrigué par une réjouissante vitalité malgré les malheurs et les menaces, le spectacle est une très belle réussite.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Neandertal
du mercredi 28 février 2024 au lundi 11 mars 2024
Théâtre Gérard Philipe
59 boulevard Jules-Guesde, 93200 Saint Denis

Du lundi au vendredi à 19h30, le samedi à 17h, le dimanche à 15h. Relâche les 5 et 9 mars Tél. : 01 48 13 70 00. www.tgp.theatregerardphilipe.com Spectacle vu au Festival d’Avignon 2023. Durée : 2h30.

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