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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

La justice est-elle juste ?

La justice est-elle juste ? - Critique sortie Théâtre Paris Le Centquatre
Crédit photo : Isabelle Meister Légende photo : Yan Duyvendak

Entretien
Yan Duyvendak

S’il vous plaît, continuez (Hamlet) / Le Centquatre
D’après Shakespeare / Conception de Roger Bernat et Yan Duyvendak

Publié le 2 mars 2013 - N° 207

Roger Bernat et Yan Duyvendak livrent Hamlet à la Cour criminelle qui instruit son procès comme une affaire de meurtre et invite les spectateurs à se faire jurés. En mêlant un fait divers réel et la tragédie de Shakespeare, la réalité et la fiction, S’il vous plaît, continuez (Hamlet) questionne le fonctionnement et le sens de la justice.

« En plaçant le spectateur dans une situation où il doit prendre position, nous cherchons à produire un trouble chez lui. »

« S’il vous plaît, continuez (Hamlet) n’est pas une pièce de théâtre » écrivez-vous. Qu’est-ce donc ?

Yan Duyvendak : Cette pièce ne relève pas du théâtre puisque certains protagonistes exercent leur propre métier : le juge, le procureur, les avocats, le médecin légiste, le psychiatre… sont d’authentiques professionnels et élaborent leurs interventions à partir d’un dossier d’instruction que nous leur remettons quelques jours avant l’audience. De même, les jurés sont désignés par tirage au sort parmi les spectateurs. Seul Hamlet (accusé du meurtre), Gertrude (sa mère) et Ophélie (son ex-petite amie) sont interprétés par des comédiens. Mais paradoxalement, tous vont manier la rhétorique, art de la parole, pour convaincre… Les codes théâtreux des uns et des autres se confrontent. D’autre part, le spectacle obéit à une dramaturgie du réel : c’est la cour qui décide du déroulé et les jurés qui déterminent l’issue du procès.

Au cours des quelque vingt « représentations », le dénouement a d’ailleurs varié, allant de l’acquittement à la condamnation à une lourde peine de prison. Cette versatilité de la justice inquiète…

Y. D. : Cela montre que la justice n’est pas une science exacte, qu’elle varie selon les régions en France et selon les pays. Elle est aussi indispensable que faillible. Je crois qu’elle essaie de définir une peine que l’accusé peut endosser, compte tenu de sa situation psychique et socio-économique, pour réintégrer la société en ayant payé le prix. En plaçant le spectateur dans une situation où il doit prendre position, nous cherchons à produire un trouble chez lui, à l’amener à questionner le fonctionnement et l’efficacité de la justice, la pertinence de la loi, autant que son sens éthique ou sa capacité et son « droit » à juger autrui et à condamner.

Pourquoi mêler le réel et la fiction pour faire théâtre ?

Y. D. : Roger Bernat et moi avions lu les minutes des procès des condamnés du camp de Guantanamo et cherchions comment aborder la thématique de la justice par le théâtre et provoquer le sens civique du public. Le procédé permet de faire voir, grâce à la distance introduite par la fiction, comment fonctionne la réalité, et il provoque une prise de conscience. Par ailleurs, je viens des arts visuels et de la performance. En tant que spectateur, l’irruption du réel, l’imprévu, l’instant où l’illusion bascule et est dédite, m’ont toujours stimulé. 

Comment travaillez-vous avec les comédiens puisqu’ils ne disent pas un texte préalablement écrit ?

Y. D. : Les comédiens choisis ont joué la pièce de Shakespeare. Nous avons effectué avec eux une reconstitution des événements jusqu’au meurtre selon notre canevas dramatique, pour qu’ils connaissent l’exact déroulé des faits. Ils répondent aux questions durant l’audience à partir de cette réalité vécue, de leurs enjeux et de leur personnage tiré d’Hamlet. Ils peuvent si besoin glisser des extraits de la pièce, mais en toute discrétion. Ils portent des t-shirts où est inscrit le nom de leur personnage. La référence culturelle place le procès dans la fiction et opère ainsi une distanciation. Pour autant, comme l’histoire diffère de la tragédie, le public ne sait pas ce qui va arriver et doit rester attentif à ce qui se passe au présent, ici et maintenant.

Entretien réalisé par Gwénola David

A propos de l'événement

S’il vous plaît, continuez (Hamlet)
du vendredi 15 mars 2013 au samedi 16 mars 2013
Le Centquatre
5 rue Curial, 75019 Paris

Les 15 et 16 mars 2013à 20h30, le 17 mars à 17h. Le Centquatre, 5 rue Curial, 75019 Paris. Tél. : 01 53 35 50 00.
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