Entretien/Katie Mitchell – La subjectivité comme expérience dramatique
Les Gémeaux / Sceaux / Christine d’après Mademoiselle Julie / d’August Strindberg / mes Katie Mitchell et Leo Warner
Publié le 2 mars 2013 - N° 207Adaptée par la metteur en scène Katie Mitchell avec l’aide du scénographe et vidéaste Leo Warner, la célèbre tragédie d’August Strindberg devient Christine d’après Mademoiselle Julie, et prend le tour éclairant d’un récit intime. Applaudie à Berlin et à Avignon en 2011, l’installation théâtrale porte la tension à son comble.
Pour quelles raisons avez-vous choisi d’adopter le point de vue de Christine, la cuisinière et malheureuse fiancée de Jean, pour raconter le drame ?
Katie Mitchell : Je voulais explorer la notion de subjectivité. Mademoiselle Julie m’est apparue comme étant particulièrement propice à ce type d’expérimentation dramatique. Normalement, dans les différentes créations existantes portées à ma connaissance de cette tragédie célèbre d’August Strindberg, nous vivons l’action en observant trois personnes d’un point de vue objectif, proche de la manière dont on peut regarder un documentaire. Il m’a paru intéressant de voir ce qui aurait lieu si on attrapait les événements de l’intrigue d’un seul et unique point de vue, propre à l’un des personnages. Dans cette intention, il m’a semblé que le plus intéressant de tous les points de vue à adopter pour raconter le drame afin de véritablement renverser les perspectives connues, d’inviter à redécouvrir la pièce en entrant dans son intimité, était de choisir le personnage, en apparence, le moins important : Christine.
Votre idée dramaturgique est soutenue par un langage scénique très sophistiqué qui dédouble l’action. Pourquoi filmer ce que les spectateurs voient dans le même temps ?
K. M. : La caméra nous permet de voir les principaux événements d’un point de vue subjectif. A partir de Christine, témoin du drame qu’elle ne peut empêcher et dont nous suivons les péripéties intérieures par le biais de la caméra qui la suit, nous avons pu concentrer l’action, condenser le texte en ramenant la pièce à une durée de moins d’une heure et, nous l’espérons, porter la tension à son comble. Les images silencieuses, précises, sont encore plus impressionnantes que l’action elle-même ; par exemple, quand Jean coupe la tête de l’oiseau « chanteur », on voit la scène par le prisme de l’œil de Christine, au travers de la fente de la porte derrière laquelle elle se tient. La caméra nous place en situation de voyant-voyeur. Rien n’échappe à Christine de la tragédie à laquelle elle assiste, et par elle, à laquelle assiste le spectateur, en direct. Jule Böwe est l’interprète idéale. Elle est sensationnelle dans ce rôle total.
« Renverser les perspectives connues, inviter à redécouvrir la pièce en entrant dans son intimité. »
Diriez-vous qu’il y a une esthétique théâtrale féminine ?
K. M. : Le drame tel qu’il est adapté a évidemment été écrit d’un point de vue féministe. Il est clair que pour moi, les deux femmes, Julie et Christine, sont les otages d’une société patriarcale qui meurt de son propre aveuglement. Un aveuglement dont meurent les femmes. Dans le dépouillement de notre proposition scénique, tout le tragique de la pièce se concentre sur ces deux personnages féminins grâce à la focalisation sur le regard que Christine porte sur ce qui arrive, et dont elle pressent l’inéluctable issue.
Propos recueillis par Marie-Emmanuelle Galfré
A propos de l'événement
Christine d’après Mademoiselle Juliedu mercredi 20 mars 2013 au dimanche 24 mars 2013
Les Gémeaux
49, avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux
Du 20 au 24 mars 2013 à 20h45, sauf dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67.