Molly Bloom
Texte cru, parfois obscène, écrit au féminin, [...]
Avec la tragi-comédie shakespearienne, ses bouffonneries et ses sarcasmes, Jean-Yves Ruf déploie un plaidoyer efficace contre les vanités de la guerre.
Dans la salle rénovée de la Comédie-Française, la représentation de Troïlus et Cressida par Jean-Yves Ruf ajoute un joli coup de pinceau au rafraîchissement des couleurs et parquets, d’autant que le traducteur André Markowicz revigore sa nouvelle version, au plus près de notre temps. Le cadre embelli évoque par antithèse une Guerre de Troie épuisée, « décolorée », qui s’enlise depuis sept ans dans la perte de ses objectifs. Soldats et chefs guerriers, Grecs et Troyens récriminent contre la déroute de leur armée. Le discours moral et philosophique du subtil Ulysse (Éric Ruf) pose la question de la guerre, condamnable dans son principe par la transgression de l’interdit fondateur du meurtre des êtres humains. Esprit d’agression, incitation à la violence et à l’aversion, perversité des intérêts cachée sous la ferveur de se battre, les belligérants font le triste constat de la responsabilité de Ménélas et Hélène dans l’embrasement de la haine. Le sage et immonde bouffon Thersite (Jérémy Lopez) s’exclame : « Quelle bouffonnerie, quelle pantalonnade et quelle fripouillerie ! Tout l’argument, c’est une putain et un cocu… ». Entre ricanements amers, ironie et dérision, la pièce dénonce la vanité guerrière, sa cruauté dans le recours cynique au fer, au feu, au sang et à la mort pour les deux camps.
Nouveau monde de négociateurs
La vision comique fausse l’exaltation glorieuse de la guerre, l’évocation romantique des tableaux historiques. Côté grec, le décor plante des voilures abîmées de chapiteau de camp militaire et des gradins mobiles d’hémicycle. Les Grecs appartiennent au nouveau monde des négociateurs, Nestor (Michel Favory), Agamemnon (Laurent Natrella), Ménélas (Akli Menni) et leurs héros grotesques et dérisoires, Achille (Sébastien Pouderoux) et Ajax (Loïc Corbery). Côté troyen, les bancs disposés en étages d’où Cressida (Georgia Scalliet) et son oncle maquereau Pandare (Gilles David) contemplent la parade virile, culminent sur la place publique. Fille du traître Calchas (Christian Gonon), Cressida acquiesce à la fougue amoureuse de Troïlus (Stéphane Varupenne). Les jeunes gens sont poussés par la trivialité de l’entremetteur dans un joli lit clos de bois sculpté. Et Hector (Michel Vuillermoz) sait qu’il serait raisonnable de rendre Hélène aux Grecs, mais il ne peut renier tous ses morts face à Priam (Yvon Gasc), Énée, Troïlus, Pâris. Les Troyens aux allures de gladiateurs de mangas défendent un monde révolu aux codes bousculés par la considération des rapports de force. Cressida est échangée contre un otage. Face à la Realpolitik, l’amour, l’honneur et la fidélité ne peuvent plus rien.
Véronique Hotte
Texte cru, parfois obscène, écrit au féminin, [...]