Le Tartuffe ou l’énigme d’une manipulation
Théâtre Jean Arp / De Molière / mes Monique Hervouët
Publié le 2 mars 2013 - N° 207Monique Hervouët met en scène Le Tartuffe et explore les enjeux de la relation entre Orgon et Tartuffe.
« Mettre en scène Le Tartuffe, c’est un peu mettre Orgon en analyse. »
Pourquoi avez-vous décidé de mettre en scène Le Tartuffe, alors que votre compagnie est plutôt encline à traiter le répertoire contemporain ?
Monique Hervouët : Parce que je n’ai pas trouvé de texte d’aujourd’hui évoquant de façon aussi habile les ravages de l’outrance religieuse. La distance de trois siècles et demi qui nous sépare de l’écriture du Tartuffe favorise considérablement l’appropriation contemporaine d’un sujet aussi délicat. Quel que soit le texte choisi, le théâtre a la chance d’être toujours contemporain !
Comment interprétez-vous ou caractérisez-vous la crise que traverse la famille d’Orgon ?
M. H. : Une famille qui a tout pour être heureuse : richesse, bienveillance du prince… Certes la mère des enfants est décédée et les rapports avec la nouvelle belle-mère sont un peu délicats. Mais rien de bien méchant. On sent également une aptitude « génétique » à la violence qui caractérise grand-mère, père et fils. Mais c’est la crise personnelle d’Orgon qui va miner la famille. Mettre en scène Le Tartuffe, c’est un peu mettre Orgon en analyse : peur de la mort, culpabilité, présence étouffante de la mère, impuissance sexuelle, ivresse du pouvoir, homosexualité révélée ? Les raisons de son attachement à Tartuffe constituent l’énigme éternelle de la pièce. Molière nous fournit au gré du texte d’inépuisables hypothèses, y compris celle d’une place fantasmée de maître du monde, la famille étant alors la maquette d’une société à tyranniser.
Comment voyez-vous la relation trouble qui se noue entre Orgon et Tartuffe ?
M. H. : Tartuffe est un voyou génial : Orgon va tout lui donner (ses biens, sa fille, sa femme presque) sans qu’il n’ait pris la peine de ne rien demander. Manipulation magistrale ! On reconnaît la manœuvre des sectes qui mettent en état d’addiction affective et spirituelle des sujets repérés pour leur fragilité, dans le but de mieux les dépouiller.
En quoi Le Tartuffe est-il une peinture des ravages de l’hypocrisie ou du fanatisme religieux ?
M. H. : Sujet littéraire jugé obsolète il y a quelques années, le mariage forcé vient de rattraper nos petites sœurs des banlieues. Les atteintes liberticides portées aux femmes (« couvrez ce sein ») et à la jouissance de la vie (ne plus sortir de la maison-prison) imposent à la famille d’Orgon un nouvel ordre moral radical dont nous pouvons éprouver le voisinage. Et l’on sait bien que, comme Tartuffe, fondamentalisme et sectarisme revêtissent avec brio modestie tapageuse et orgueilleuse humilité.
Propos recueillis par Agnès Santi
A propos de l'événement
Le Tartuffedu samedi 23 mars 2013 au samedi 30 mars 2013
Théâtre Jean Arp
22 rue Paul Vaillant Couturier, 92140 Clamart
Du 23 au 30 mars à 20h30 sauf jeudi à 19h30 et dimanche à 16h. Tél : 01 41 90 17 00.