Ma mère qui chantait sur un phare
Ma mère qui chantait sur un phare court [...]
Avec un lyrisme mâtiné d’insolence, Bertrand Farge interprète La Confession d’un enfant du siècle et rend un bel hommage au spleen onirique du romantisme désabusé.
Après Le Chandelier et Les Caprices de Marianne, le Théâtre du Trèfle continue son laboratoire autour de l’œuvre de Musset, avec l’adaptation, par Frédéric Vossier, de La Confession d’un enfant du siècle. Dans ce roman, largement inspiré par ses propres tourments existentiels et moraux, Musset, tout juste trompé par George Sand, invente le personnage d’Octave. Le héros, trahi par sa maîtresse et son meilleur ami, perd son père, un de ces titans chamarrés qui viennent d’écrire l’histoire et n’ont légué à leurs fils que le désespoir de n’être jamais à leur hauteur. Octave se retire à la campagne, où il s’enivre copieusement en ressassant son malheur et en tâchant de lutter contre l’hydre vivace de l’ennui. En ce crépuscule des révolutions, époque maudite, amère, cupide et corrompue, où les peuples et les esprits reviennent à la réaction après le mouvement, aucune consolation n’est possible. Reste, pour échapper à ce cloaque et se consoler des œuvres des hommes (amour pervers, art dégénéré et politique cynique), le retour à la nature et aux vertus nobles des âmes simples. C’est dans l’amour de Brigitte Pierson, sa voisine charitable et belle, qu’Octave croit trouver son salut. Las ! Dans les vallons sauvages comme sous les ors des salons, on ne guérit pas d’être né trop tard…
La précision au service de la complexité
Deux guéridons couverts d’une multitude de verres, un lustre qui évoque le luxe dans lequel s’étiole cette génération capricieuse et égotiste, un vaste fauteuil pour accueillir le soliloqueur désabusé, un arbre aux couleurs de l’automne et des tulles jouant habilement des transparences pour suggérer une campagne qui a tout du désert d’Alceste : le décor évoque adroitement l’ambiance feutrée de cette confession solitaire et désolée. Bertrand Farge incarne un Octave que l’âge a tanné sans l’assagir. Au soir d’une vie gâchée, un quinquagénaire encore séduisant, mais qui, d’évidence, a trop visité les flacons pour espérer y trouver l’occasion d’une inédite ivresse, raconte l’enthousiasme et l’amertume d’une histoire d’amour ratée à force de jalousie et d’emportements. Le comédien sait jouer habilement de la contradiction entre l’humour distancé et les emportements lyriques. Cruel dans l’insolence et pitoyable dans l’exaltation, Bertrand Farge est comme l’Octave des Caprices de Marianne, « danseur de corde » autour duquel « cavalcadent » « des phrases redondantes » et « de grands mots enchâssés », entre souvenirs racornis et perspectives sinistres. Dans la mise en scène précise de Marie-Claude Morland, le comédien fait naître avec talent un personnage tout en paradoxes, à la fois captivant et répugnant, fascinant et repoussant, « qui suce l’éternel aliment de ses souffrances dans tout ce qui l’entoure ».
Catherine Robert
Ma mère qui chantait sur un phare court [...]