La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Dans la solitude des champs de coton

Dans la solitude des champs de coton - Critique sortie Théâtre Paris Etoile du Nord
Crédit : Jerôme Libermann Légende : Bruno Debrandt (le client)

Théâtre de l’Etoile du Nord / de Bernard-Marie Koltès / mes Jean-Pierre Brière

Publié le 26 janvier 2013 - N° 206

Jean-Pierre Brière porte à son point d’incandescence la puissance tragique du duel imaginé par Koltès. 

 « Si vous marchez dehors à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ». Sur cette parole faustienne Bernard-Marie Koltès ouvre Dans la solitude des champs de coton, un sommet de la littérature dramatique du vingtième siècle. Au cœur du propos,  un deal, métaphore du jeu de l’offre et de la demande, paradigme des rapports humains, allégorie du désir, cet autre nom pour l’amour dont on sait qu’il est depuis Lacan ce « vouloir donner quelque chose que l’on n’a pas à un autre qui n’en veut pas ». Pris dans les filets de cette dialectique éminemment paradoxale, les deux protagonistes de cette scène unique qui compose ce huis clos à ciel ouvert « n’ont pas d’autres choix que de se frapper avec la violence de l’ennemi ou la douceur de la fraternité ». Omniprésente, l’équivoque  sert de matrice à la mise en scène chauffée à blanc et longuement mûrie de Jean-Pierre Brière : « C’est un lieu  – un ancien hôpital psychiatrique abandonné – qui m’a décidé à monter cette pièce. Jusque là, je l’avais gardée sous le coude. Il y a quelque chose en elle d’absolument non dramatique, quelque chose de dévastateur quant à la possibilité même de la mettre en scène. Quand j’ai découvert ce lieu, il y a quatre ans aujourd’hui, les murs transpiraient Koltès. Nous avons, avec la compagnie Mega–Pobec, lancé un processus de création appelé Plan K à la source de cette mise en scène ».

Une mise en scène humble et ample 

L’espace d’origine inspire le décor actuel au plus près des recommandations de l’auteur : un lieu désert et indéterminé à une heure indéterminée de la nuit, « un lieu qui interdit l’indifférence ou le détour ou la fuite ». Sur les murs, le bâti délabré dessine comme des fresques, deux vestiges de tours, colonnes jumelles en ruine resserrent le plateau, inquiétant no man’s land peuplé d’ombres nocturnes. C’est un endroit où temps et lieu vacillent. Un entre deux.  Dans tous les détails, la tension latente se fait à chaque instant palpable et laisse craindre le pire. Sur le fil du rasoir, le metteur en scène tient de bout en bout ce duel  tragique en assumant lui-même avec une présence et une densité rares le rôle du dealer face à un Bruno Debrandt (le client) incandescent. La mise en scène que Jean-Pierre Brière désirait à la fois « humble et ample », deux qualités qui, de fait, lui reviennent, s’enrichit de trouvailles scéniques, ajoutant au trouble et le portant à son comble. Témoin muet, un troisième personnage (Jean-François Michel), exprime dans un intermède dansé mêlant le sensuel et le sauvage, le tragique de l’échange. Témoins bestiaux, deux chiens loups rôdent sur scène, allant et venant, menaçants dans leur indifférence même, quand rien ne peut laisser indifférent.

 Marie-Emmanuelle Galfré 

A propos de l'événement

Dans la solitude des champs de coton
du vendredi 15 février 2013 au samedi 2 février 2013
Etoile du Nord
16, rue Georgette Agutte, 75 018 Paris.

Du vendredi 15 février 2013 au samedi 2 mars 2013, les mardis, mercredis, vendredis et samedis à 20h30, les jeudis à 19h30. Tél : 01 42 26 47 47. www.etoiledunord-theatre.com
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