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Théâtre - Critique

Bérangère Vantusso reprend son « Rhinocéros » de Ionesco, une fine mise en jeu de nos fragilités face à l’extrémisme et la propagande

Bérangère Vantusso reprend son « Rhinocéros » de Ionesco, une fine mise en jeu de nos fragilités face à l’extrémisme et la propagande - Critique sortie Théâtre Tours CDN de Tours – Théâtre Olympia
© Ivan Boccara Rhinocéros dans la mise en scène de Bérangère Vantusso

Reprise / Théâtre Olympia, CDN de Tours / texte d’Eugène Ionesco / adaptation Nicolas Doutey / mise en scène Bérangère Vantusso

Publié le 28 août 2024 - N° 324

Bérangère Vantusso, nouvelle directrice du CDN de Tours, reprend Rhinocéros, pièce emblématique du théâtre de l’absurde. Entre veine burlesque et disparition programmée de l’humain, la pièce ancrée dans une abstraction active interroge nos fragilités face à l’extrémisme et la propagande.    

Si Bérangère Vantusso a décidé de mettre en scène Ionesco, à l’invitation de la directrice de La Manufacture Julia Vidit qui lui a demandé de s’emparer d’une « pièce classique », c’est pour sa forte résonance avec l’époque autant que pour sa dimension absurde. Rappelons l’intrigue, métaphore limpide du basculement vers le totalitarisme : dans une petite ville de province, une étrange épidémie frappe les habitants qui un à un se transforment en rhinocéros. Ce n’est donc pas l’extrémisme en soi qui est sous le feu des projecteurs (la metteure en scène ne cherche pas à représenter les pachydermes), mais bien l’implacable propagation de la maladie, qu’il s’agisse d’un embrassement enthousiaste ou d’un chavirement subreptice. Rédigée à la fin des années 1950 suite à l’effroi du nazisme, la pièce est ancrée dans son époque. Opérant une série de coupes, l’adaptation de Nicolas Doutey se déleste de l’ancrage historique pour resserrer le propos, éclairer davantage la possibilité des errements humains à toute époque. À l’heure où les partis nationalistes et populistes se consolident, où hélas une partie de la gauche désespère, le théâtre peut à sa manière redonner vigueur à l’esprit critique, questionner sans facilité le chaos de l’âme humaine. L’allégorie de cette rhinocérite pourrait paraître massive, voire écrasante, mais grâce à la finesse de la mise en scène et à l’engagement des comédiens, la pièce parvient à interroger, à laisser émerger en filigrane des débats essentiels,  sans oublier de laisser place au burlesque – un aspect très réussi, chorégraphié avec une précision d’horloger.

Apprendre du passé

Dans cette dramaturgie de la prolifération où les rhinocéros prennent la place des humains jusqu’à laisser le dernier d’entre eux seul en un ultime geste d’opposition, l’enjeu est au-delà de la dérision de l’absurde de faire naître l’inquiétude. La partition révèle ainsi la fragilité de l’humain, la menace permanente d’une emprise qui annihile toute résistance individuelle au profit d’une uniformisation grise. Étonnante, la scénographie de Cerise Guyon choisit une forme d’abstraction immaculée qui est aussi matière à jouer, encadrant la scène de deux murs mobiles faits d’un entassement de centaines de cubes blancs, pleinement intégrés à l’action. Les cubes figurent aussi divers éléments, du chat de la ménagère aux items des syllogismes du logicien. À elle seule, cette omniprésence des cubes pourrait d’emblée se lire comme un prélude à la disparition : de nos repères, de nos illusions qui se brisent. Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues De la Salle, Tamara Lipszyc et Maïka Radigales forment un ensemble bien accordé. Citons Ionesco dans sa préface : « Je me demande si je n’ai pas mis le doigt sur une plaie brûlante du monde actuel (…). Les idéologies devenues idolâtries, les systèmes automatiques de pensée s’élèvent, comme un écran entre l’esprit et la réalité, faussent l’entendement, aveuglent ». Bérangère Vantusso et les siens alertent : comment lutter contre la contagion ?

Agnès Santi

A propos de l'événement

Rhinocéros
du mardi 24 septembre 2024 au vendredi 4 octobre 2024
CDN de Tours – Théâtre Olympia
7 rue de Lucé, 37000 Tours.

mardi, mercredi et vendredi à 20h, lundi et jeudi à 19h, samedi à 17h, relâche dimanche. Tél : 02 47 64 50 50. Durée : 1h30. Spectacle vu au Théâtre de la Manufacture – CDN de Nancy Lorraine.

Également du 5 au 14 décembre au Théâtre Silvia Monfort – Paris, les 13 et 14 février au 140 à Bruxelles, Les 20 et 21 mars  à ACB - Scène nationale de Bar-le-Duc,  le 3 avril au Carreau - Scène nationale de Forbach, les 16 et 17 avril au Théâtre d’Auxerre – SCIN, les 24 et 25 avril à la Maison de la Culture d’Amiens, le 23 mai au Grand R - Scène nationale de La Roche-sur-Yon.

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