Baro d’evel crée “Qui som ?” un poème sensible, visuel et charnel
Théâtre 71 puis tournée / Conception et mise en scène Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias
Publié le 28 août 2024 - N° 324
Le travail de la compagnie Baro d’evel s’enracine dans le cirque, mais il est radicalement libre et transdisciplinaire. Qui som ? compose un poème sensible, visuel, charnel, à l’aide de ses treize interprètes et des matières mises en scène, un acte poétique pour nous aider à vivre l’anthropocène.
Parti-pris : nous vivons déjà dans le monde d’après, et c’est un monde hostile. Horizon : la vie reste, et la possibilité de se réinventer, et la potentialité de la joie. Sur cette inspiration Qui som ? déploie sa question : Qui sommes-nous ? Des êtres vivants, sensibles aussi, pensants sans doute, sociaux profondément, traversés par la nécessité d’inventer des rituels et de faire groupe. Sous le regard sévère d’une jeune fille muette, la troupe réunie par Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias peint le tableau de la catastrophe et de son dépassement. L’humour est omniprésent : on sait leur attachement au clown, et le comique, qui tourne souvent autour de la maladresse, vient ponctuer Qui som ? de respirations bienvenues. Pour autant, le spectacle commence par des choses qui se brise : une poterie pulvérisée, l’équilibre des personnages qui se perd, métaphores de ce basculement dont le spectacle prend acte. La violence de ce qu’il se passe s’inscrit dans la matière, dans les corps et dans les cris.
Une force de vie à la hauteur du défi, un poème pour garder l’espoir
Pour traverser l’effondrement, la musique et le corps sont les appuis fondamentaux mobilisés par le groupe. Chants de douleur ou de résistance, sublimement interprétés, transcendent les épreuves et confèrent une dignité aux humains malmenés. Les corps engagés dans la danse s’accordent, réoccupent un monde qui n’a plus rien à voir avec celui d’hier : entre le début du spectacle et sa fin, la scénographie a radicalement évolué. L’utilisation des arts plastiques, de l’objet, de la terre sous toutes ses formes file les métaphores visuelles. Les poteries, symboles de la maîtrise technique, se transforment en masques qui aveuglent les interprètes. La barbotine rend le plateau glissant, repeint les peaux aux couleurs de la cendre, sèche en fine poussière. Le plastique, à la présence d’abord anecdotique, se fait finalement marée. Les tableaux sont monumentaux, la présence humaine y est dérisoire. Par moments, on a le sentiment que le geste artistique est dépassé par le poids de cette matière, la tension se dilue quand il s’arrête trop longtemps sur elle. Les quelques acrobaties disséminées dans le spectacle ont un rôle pour l’instant anecdotique, en comparaison avec la danse qui en constitue une composante hypnotique, absolument essentielle. Mais la chute rachète toutes les longueurs, quand on se rend compte que les saluts ne sont pas des adieux. Finir sur une joie puissante plutôt que sur une désespérance, au vu du sujet, voilà un joli tour de force.
Mathieu Dochtermann
A propos de l'événement
Qui som ?du mercredi 2 octobre 2024 au vendredi 4 octobre 2024
Théâtre 71 – Scène nationale de Malakoff
3 place du 11 Novembre, 92240 Malakoff.
à 20h. Tél : 01 55 48 91 00. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2024. Durée 2h30.
Également Du 2 au 15 décembre au ThéâtredelaCité à Toulouse (31). Les 10 et 11 janvier à Tarbes (65). Du 24 Janvier au 1er Février à la MC93, Bobigny (93). Du 19 au 21 mars au Théâtre Dijon Bourgogne à Dijon (21). Les 27 et 28 Mars au Centre Dramatique Nationale de Normandie-Rouen, Rouen (76). Les 1er et 2 Avril au Volcan scène nationale, Le Havre (76). Les 24-25 Avril à Équinoxe scène nationale, Châteauroux (36). Les 6 et 8 mai à la Scène nationale du Sud-Aquitain à Biarritz. Les 14 et 15 mai au Grand R à La Roche-sur-Yon (85). Du 4 au 11 juin aux Célestins à Lyon (69).