La Terrasse

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Opéra-critique

Wajdi Mouawad creuse « Pelléas et Mélisande » jusqu’à l’âme

Wajdi Mouawad creuse « Pelléas et Mélisande » jusqu’à l’âme - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Bastille
Sabine Devieilhe dans Pelléas et Mélisande de Debussy mis en scène par Wajdi Mouawad. © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris

Opéra Bastille / Nouvelle production

Publié le 7 mars 2025 - N° 330

Tout en suivant à la lettre le livret de Materlinck, Wajdi Mouawad investit le mystère de l’opéra de Debussy avec l’appui d’une belle distribution où la soprano Sabine Devieilhe trouve le chemin exact du personnage de Mélisande.

On confond parfois le symbolisme et une forme d’abstraction. Pour sa mise en scène de Pelléas et Mélisande de Debussy, Wajdi Mouawad part du texte de Maeterlinck et de ce qu’il a de concret, de réaliste, voire de prosaïque, et c’est par là-même, à l’aide de ces indices cachés derrière chaque mot, qu’il parvient au symbole et à la résonance universelle du conte. Ainsi de l’ouverture : le prince Golaud, l’arc à la main, se perd au cœur de la forêt, à la recherche du sanglier qu’il croit avoir blessé à mort. Wajdi Mouawad fait précéder les premières mesures de la partition d’une pantomime où l’animal, une flèche plantée dans le dos, parcourt la scène et fixe la salle du regard, prenant les spectateurs à témoin : il est la première victime innocente. Pantomime silencieuse, sinon ces murmures de la forêt – oiseaux, bruits du vent, craquements de branches… – qui, par leur naturalisme, par l’évident artifice théâtral, évoquent la nature comme ce monde perdu de l’anthropocène. En ce sens, et il se gardera d’aller plus loin, la vision de Wajdi Mouawad est bien d’aujourd’hui. Car s’il tient, pour la scénographie où s’articulent les décors d’Emmanuel Clolus et les magnifiques vidéos de Stéphanie Jasmin, la ligne d’une certaine littéralité (y figurent l’eau des sources et de la mer, la fontaine, la grotte, le château et ses tours, les collines et leurs troupeaux de moutons…), il n’y noie pas le mystère. Mélisande surgit littéralement de la forêt, tel un animal blessé et affolé – Golaud l’emportera, à la fin de la première scène, tel le butin de sa chasse. D’ailleurs, au moins au premier acte, il convoque bien moins le théâtre dans les scènes que dans les interludes. C’est là que se fait jour (si l’on peut dire : il semble y être minuit depuis toujours) un autre monde, presque un outre-monde. S’entasseront ainsi au cours de l’opéra les carcasses dépecées d’animaux (le sanglier, le cheval blessé de Golaud, d’autres encore et jusqu’à Pelléas, tué par Golaud sur ce charnier même au bord de la fontaine d’où « monte l’odeur de la mort » [acte III, scène 2]), terrible trésor de chair accumulé par des êtres mystérieux – ces « trois vieux pauvres » que Mélisande et Pelléas aperçoivent endormis dans la grotte à la fin du deuxième acte. Ailleurs, c’est le rêve de Golaud qui est donné à voir – prémonition du meurtre de Pelléas quand il le surprendra auprès de Mélisande ou souvenir enfoui d’un crime plus ancien ? Ce sera enfin, à la mort de Mélisande, l’apothéose des deux amants.

Figurer le monde, montrer le rêve

Le rideau sur lequel sont projetées les images sera souvent traversé par les personnages. Si cette utilisation de la profondeur de scène est parfois problématique pour les voix, elle produit des impressions saisissantes. Par deux fois, le rideau sera percé par le corps et le regard des protagonistes : lors de la scène de la tour (acte III), la chevelure de Mélisande – Sabine Devieilhe,  comme en apesanteur – se répand – magie de la vidéo – sur les murs. Un peu plus tard, c’est le regard effrayé d’Yniold, l’innocent enfant juché sur les épaules de Golaud, qui viendra nous dire l’intimité de la chambre de Mélisande. Si la mise en scène s’appuie sur une lecture à la lettre du livret – au point que les surtitres sont ici projetés à même le décor –, elle se nourrit aussi de la distribution. Sabine Devieilhe est parfaite dans le rôle de Mélisande : sa voix trouve le chemin exact du personnage, ni forte ni fragile mais d’une clarté qui est d’un autre monde (si on lit bien les indices du livret, elle est née de l’eau et meurt dans le soleil couchant). Lors de cette représentation, le baryton Huw Montague Rendall, très attendu dans le rôle de Pelléas, étant souffrant, il est remplacé par le ténor Bernard Richter, qui n’a eu aucun mal à se mettre dans la peau d’un personnage qu’il connaît bien et sert de façon très convaincante la caractérisation voulue par Wajdi Mouawad. De même, la voix du baryton-basse Gordon Bintner, sans éclat, sans lumière, modèle-t-elle un Golaud qui s’est d’ores et déjà perdu. Ajoutons l’impressionnant Arkel de Jean Teitgen, dont Wajdi Mouawad fait un sage, non pas un vieillard, et la remarquable incarnation d’Yniold par la jeune Anne-Blanche Trillaud Ruggeri, soliste de la Maîtrise de Radio France. Sans grands débordements, sans chercher la surenchère de timbres, la direction d’Antonello Manacorda à tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris – et des chœurs (Chœur de l’Opéra et Maîtrise de Radio France), au rôle réduit mais essentiel – est le ciment essentiel entre la scène et les voix. Il prend sa part au mystère en faisant entendre sa voix propre, sans rien proclamer, image fidèle des personnages de Pelléas et Mélisande.

Jean-Guillaume Lebrun

 

A propos de l'événement

Pelléas et Mélisande
du vendredi 28 février 2025 au jeudi 27 mars 2025
Opéra Bastille
Place de la Bastille, 75012 Paris.

Prochaines représentations dimanche 9 mars à 14h30, les 12, 15, 18, 20, 25 et 27 mars à 19h30.

Tél. : 08 92 89 90 90. Durée : 3h25 avec 1 entracte.

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