Scènes de la vie conjugale
Dans le prolongement de Il faut toujours [...]
Pionnier dans la mise en scène des textes de Heiner Müller en France, traducteur et grand spécialiste de l’auteur allemand, Jean Jourdheuil monte Vie de Gundling Frédéric de Prusse Sommeil rêve cri de Lessing. Un objet bien étrange.
Rien d’étonnant à ce que le spectacle soit étrange. D’Heiner Müller, on connaît en France surtout Quartett ou Hamlet-Machine. Des pièces d’un théâtre qu’on qualifiera a posteriori de post-dramatique, où la narration est éclatée en fragments, où registres et époques se télescopent, dans les méandres desquelles le spectateur est invité à construire du sens aux antipodes d’une fable qui jusque là délivrait sa morale. La Vie de Gundling a été achevée par Müller à l’issue d’un voyage inespéré aux Etats-Unis : il était alors taxé de »pessimisme historique » dans un pays depuis disparu, la RDA, qui ne jurait que par la marche vers des lendemains qui chantent. Déjà, Jourdheuil et d’autres avaient contribué à lui faire une réputation au-delà du rideau de fer. Son théâtre politique et atypique offrait une succession à l’épique brechtien, dont les représentants donnaient souvent trop dans le didactisme alors que la foi dans les progrès de l’Histoire, communistes, capitalistes ou simplement issus des Lumières, commençait à sérieusement s’étioler.
Roman-collage
Il y a d’ailleurs presque quelque chose d’un no future punk dans cette fresque historique mise en scène par Jourdheuil. Les Lumières y sont humiliées. D’entrée, l’historien Gundling, qui philosophe sur l’Histoire et la politique, par le roi Frédéric-Guillaume Ier. Puis Voltaire bouffon emperruqué auprès de Frédéric II de Prusse. Etc. Müller traverse en fait deux siècles d’Histoire allemande marqués par la cruauté des puissants, l’autorité abusive et la mise au pas du corps social, en ce qu’il nomme un roman-collage qui s’achève dans la relève ridicule d’une civilisation américaine menée par des pom pom girls. Certainement, le spectateur peut peiner à comprendre qui est qui dans cette succession de figures peu connues de ce côté-ci du Rhin, mais il perçoit les forces qui structurent l’Histoire allemande dans la lecture qu’en offre Müller. Les dialogues sont épurés, l’image prime et la convocation de multiples ressources du théâtre – musique, marionnettes, masques, vidéo… – renvoie à un théâtre pluridisciplinaire qui prit son envol en ces années 70 où le texte est né. Ce n’est pas sans plaisir malgré une excessive lenteur du rythme et l’impression d’un théâtre expérimental un peu daté.
Eric Demey
Mardi, mercredi, jeudi, samedi à 19h. Vendredi à 20h. Dimanche à 17h. Relâche le lundi. Tél : 41 22 320 50 01. Durée : 2h
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