La Pomme dans le noir
Carlo Brandt, Pierre-François Garel, [...]
Lorraine de Sagazan adapte et met en scène la tragédie de Nora et Torvald, en inversant les rôles pour mieux interroger les stéréotypes de genre et les avatars modernes du patriarcat, dénoncé par Ibsen en son temps.
Pourquoi choisir d’inverser les rôles de Nora et Torvald ?
Lorraine de Sagazan : Nous avons d’abord voulu monter la pièce dans sa version originale mais nous nous sommes vite aperçus que ce traitement était presque hypocrite et ne correspondait plus du tout à l’intention d’Ibsen. Forts de sa recommandation de ne faire que du théâtre contemporain, nous avons donc choisi, au fur et à mesure des lectures, d’inverser les rôles, ce qui pose des questions passionnantes, notamment sur le thème du travail et de la place des femmes dans ce milieu, et permet d’entendre les résonnances actuelles d’une pièce vieille d’un siècle et demi.
Quelle est la finalité de l’adaptation ?
LS.: Je trouve violente l’injonction de respecter les auteurs : ajouter, ce n’est pas manquer de respect, surtout à Ibsen dont la pièce a été interdite et auquel on a demandé d’en réécrire la fin ! Il s’agit de se demander où on en est aujourd’hui des questions qu’il aborde. Le respect pour un auteur est dû à sa pensée, pas à ses mots. Le metteur en scène adopte alors une démarche d’interprète, partant d’une œuvre pour l’amener dans le monde réel, ce qui implique des changements dans la forme et le fond. Ibsen a écrit une pièce pour traquer le mensonge social. Or, le cadre social qu’il choisit appartient à une époque ; raconter l’histoire selon ce cadre revient à détourner le regard de la réalité contemporaine. A son époque, Ibsen interrogeait la morale de façade, on cherche à en faire autant alors que les places ne sont plus les mêmes. Je fais du théâtre pour désenchanter la fiction et la rapprocher du réel.
Comment avez-vous procédé ?
LS. : Quelques ajouts de Virginie Despentes, Virginia Woolf et Roland Barthes, mais le texte est à 90% celui d’Ibsen, ce que les gens ont du mal à croire tant il sonne juste et actuel ! Nous avons coupé ce qui ne semblait pas pouvoir exister aujourd’hui et partagé le texte entre Nora et Torvald. Nora a une situation sociale confortable et son mari a mis sa carrière entre parenthèses pour s’occuper de la maison et des enfants. Ce couple apparemment libre et heureux va exploser à cause du regard social qui les empêche de vivre comme ils l’ont choisi. La version présentée au Monfort a été repensée. Les comédiens sont comme dans un ring, et les spectateurs forment les murs de cette maison de poupée : c’est leur regard qui fait exploser la situation.
Propos recueillis par Catherine Robert
Du mardi au samedi à 20h30. Tél. : 01 56 08 33 88.
Carlo Brandt, Pierre-François Garel, [...]