« De la servitude volontaire » de La Boétie, pamphlet éblouissant contre l’absolutisme et la lâcheté imbécile avec Jean-Paul Farré
« A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de [...]
Servie par les excellents Christophe Brault et Scali Delpeyrat, qui forcent l’admiration, la vibrante mise en scène de Sylvain Maurice donne corps, présence et émotion à cette dispute où chaque mot agit. La remarquable partition de Nathalie Sarraute trouve ici un très bel aboutissement.
Rien d’étonnant à ce que Nathalie Sarraute, qui renouvelle et aime tant l’expérience du dialogue, en vienne à écrire pour le théâtre. Comme elle l’écrit déjà dans L’ère du soupçon (1956) dans l’essai Conversation et sous-conversation, « les paroles possèdent les qualités nécessaires pour capter, protéger et porter au-dehors ces mouvements souterrains à la fois impatients et craintifs » qui habitent chaque individu. Au-delà des formes convenues de l’écriture et du réel, des habituelles conceptions du personnage, l’auteure crée une parole qui agit à chaque instant, qui surprend, ouvre toutes sortes de perspectives sans résolution. H1 et H2, deux amis de très longue date, se sont éloignés. Le premier demande des explications au second. Que s’est-il passé ? Rien, quoique… « quand je me suis vanté de je ne sais plus quoi… de je ne sais plus quel succès… (…) tu m’as dit c’est bien… ça. » finit par révéler H2. C’est le suspens après « bien » qui l’a chamboulé, et cet aveu enclenche un dialogue à haut risque. Comme les galeries que creuse la taupe sous « les pelouses soignées », les chemins empruntés emmènent sous la surface des choses. Créée d’abord pour la radio en 1981, publiée l’année suivante (éditions Gallimard) puis mise en scène en 1986 au Théâtre du Rond-Point par Simone Benmussa avec Sami Frey et Jean-François Balmer, cette sixième est dernière pièce de Nathalie Sarraute, devenue un classique, a été montée des centaines de fois.
La puissance des mots et la puissance du jeu
Le passage au théâtre s’avère réjouissant paradoxe autant que défi artistique, alors que sur scène advient l’incarnation ; le mouvement, le corps, la scénographie sont visibles, tandis qu’affleurent des gouffres intérieurs, des surgissements de sensations, où la violence ose se dire. En compagnie de deux immenses comédiens, rompus aux textes exigeants et familiers de nos scènes, le talentueux Sylvain Maurice réussit le tour de force de laisser place à l’émotion, aux aspérités contradictoires de la partition, en faisant émerger le rire, la dérision, la dureté, la cruauté… Une liberté et une inventivité bienvenues en parfait écho à une écriture qui se refuse à toute catégorisation. H1 et H2 ne sont pas ici interchangeables, et la fine caractérisation de chacun d’eux permet non seulement d’éviter une représentation trop cérébrale, mais aussi d’y insuffler un goût du jeu, une fine ironie, une imbrication du comique et du tragique nourrie d’inavouable. Virtuose d’une éblouissante précision, Christophe Brault (H1) est infiniment touchant, traversant une multitude d’états, de la raillerie au désespoir. Sur une crête sinueuse parfaitement tracée, Scali Delpeyrat (H2) lui aussi impressionne, engageant son corps par une partition gestuelle millimétrée, souvent très drôle. Joué devant un mur vintage à la géométrie joyeusement colorée, dans une petite salle du Lucernaire, leur duo est une merveille, accessible à tout public. Remplaçant le couple de voisins (F et H3), la voisine (F) est parfaitement interprétée par Élodie Gandy. À noter : la pièce est au programme du bac de français 2025. Un travail enthousiasmant, à ne pas manquer.
Agnès Santi
Du mardi au samedi à 18h30, le dimanche à 15h. Tél. 01 45 44 57 34. Durée : 1h. www.lucernaire.fr
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