La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2024 - Entretien / Tiziano Cruz

« Soliloquio / Wayqeycuna », l’art militant et fédérateur de Tiziano Cruz

« Soliloquio / Wayqeycuna », l’art militant et fédérateur de Tiziano Cruz - Critique sortie Avignon / 2024 Avignon Festival d'Avignon. Gymnase du lycée Mistral.
Tiziano Cruz, artiste indigène du nord de l’Argentine. Crédit : Nora Lezano

Gymnase du Lycée Mistral / textes et mises en scène Tiziano Cruz

Publié le 2 juin 2024 - N° 323

Entremêlant intime et politique, l’artiste interdisciplinaire indigène Tiziano Cruz revendique un art militant et fédérateur. Il présente Soliloquio et Wayqeycuna, les deux derniers volets d’une trilogie qui puise dans son histoire, son territoire, son enfance, les gestes culturels qui l’ont précédé.

« Soliloquio et Wayqeycuna font partie d’une trilogie autobiographique à laquelle je travaille depuis 2015, année où ma sœur, Betiana Cruz, est morte à l’âge de 18 ans des suites d’une négligence médicale. Cet événement m’a amené à interroger la place de l’art corporel dans un pays comme l’Argentine où mon corps d’indigène est invisibilisé par la domination de la société blanche. Cette recherche oriente, depuis lors, l’ensemble de mon travail. Je revendique mon appartenance à un groupe de population, à une communauté méprisée par le pouvoir hétéro-colonial. Ce pouvoir, qui impose un mode de vie normatif, érige en modèle une société dans laquelle les gens comme moi n’ont pas été invités à vivre. Nous avons donc le mot Survivre tatoué sur la peau. Nous naissons et évoluons avec la menace permanente de la xénophobie, du racisme, de l’homophobie, de l’indigénophobie, de la discrimination des populations pauvres. Soliloquio explore la mémoire collective de mon peuple, un peuple invisibilisé du nord de l’Argentine. Je relie cette mémoire aux voix des corps qui, partout dans le monde, sont eux aussi invisibilisés. Ce spectacle est composé de deux parties : une conférence qui se déroule dans des espaces publics proches du lieu où se déroule la pièce ; une conférence performative qui propose des retrouvailles avec ma mère biologique à travers 58 lettres que je lui ai écrites pendant la pandémie de covid-19, alors que nous pensions que nous allions mourir.

Un peuple perdu dans la périphérie de l’Argentine

Quant à l’autre spectacle, Wayqeycuna, il propose d’imaginer collectivement un monde libéré des frontières identitaires que nous connaissons. Un flux surgit alors. Il nous permet de nous connecter différemment avec les choses, avec la terre, de regarder et d’habiter le monde autrement, d’envisager une possible réconciliation. Comme les femmes andines, mes mères, qui tissent leurs quipus, j’essaie de tisser mes histoires familiales, celles de mon peuple, celles de mes origines et de la nation tout entière. Wayqeycuna est une réflexion sur la manière dont les hiérarchies raciales, les structures de domination, l’exotisation des corps et des vies qui sont considérées comme jetables, opèrent dans un monde où la violence fait partie de la société. J’explique comment mon corps est fréquemment exotisé par le marché de l’art européen, comment il est blanchi, comment il se laisse acheter par les institutions du pouvoir. Ces deux spectacles sont dédiés à ma famille, en particulier à ma sœur, Betiana Cruz, et à ma mère, Victorina Urbina, qui est morte au mois de mars dernier, clouée dans un lit d’hôpital en attendant un traitement contre son cancer. Le système de santé argentin considère que les corps des indigènes ne valent la peine d’être sauvés. Je suis profondément ému d’être invité à voyager jusqu’à Avignon pour raconter l’histoire d’un peuple perdu dans la périphérie de l’Argentine, un peuple qui résiste aux attaques constantes des multinationales cherchant à exploiter ses ressources naturelles. Je souhaite défendre l’idée, peut-être utopique, d’un monde plus juste et plus ouvert. »

 

Propos recueillis et traduit de l’espagnol par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Soliloquio et Wayqeycuna
du vendredi 5 juillet 2024 au dimanche 14 juillet 2024
Festival d'Avignon. Gymnase du lycée Mistral.
20 Boulevard Raspail, 84000 Avignon

Soliloquio : du 5 au 7 juillet et du 11 au 13 juillet 2024 à 18h (durée : 2h).

Wayqeycuna : le 10 juillet à 18h, du 11 au 13 juillet à 11h, le 14 juillet à 11h et 18h (durée : 1h10). Tél : 04 90 14 14 14. Spectacles en espagnol, surtitrés en français et en anglais.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur Avignon

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur Avignon en Scènes