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Théâtre - Critique

Simon Falguières et les siens fabriquent Les Etoiles : une exaltante traversée poétique

Simon Falguières et les siens fabriquent Les Etoiles : une exaltante traversée poétique - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête
© Simon Gosselin Les Etoiles

Théâtre de la Tempête

Publié le 12 janvier 2023 - N° 306

Au Théâtre de La Tempête, Simon Falguières et les siens fabriquent un voyage poétique ensorcelant, qui tresse la puissance de l’imagination et la dure condition du réel, et célèbre joliment le pouvoir magique du théâtre. Une réussite. 

On pourrait croire que le jeune Ezra, endormi pendant 25 ans, il a comme pas vécu… Mais nous sommes dans un conte où le sommeil signifie que les rêves prennent le pouvoir et nous embarquent à bord d’un lit-radeau vers un monde inouï, nous sommes sur un plateau de théâtre qui se plaît à jouer de tous ses artifices, à montrer les rouages de sa magie. Commandée par Wajdi Mouawad, créée au Théâtre de La Colline en plein confinement en novembre 2020, Les Étoiles trouve enfin son public, faisant suite à la présentation lors du dernier Festival d’Avignon de l’épopée fleuve Le Nid de Cendres, elle aussi écrite et mise en scène par Simon Falguières. Habilement conçue comme un voyage où réel et imaginaire cohabitent et tissent ensemble de multiples correspondances, où les temporalités se bousculent et se diffractent, Les Etoiles mêle divers registres, du drame familial à la farce, de l’épopée au mélodrame, en revendiquant et en parvenant à faire vivre de très belle façon une théâtralité archaïque. Ezra est un poète. Fils de Pierre et Zocha, il est né dans l’allée aux Cerisiers. L’histoire commence à la mort de sa mère. Son père plante des fleurs autour du trou dans le jardin. Son oncle Jean, que l’on dit bête et qui ne l’est pas, peint des visages sur des figures de bois en une forme d’art brut, c’est lui qui fabrique le cercueil. Le chien pleure sa maîtresse. Et Ezra doit prononcer l’éloge funèbre. C’est à ce moment qu’arrive Sarah, qui aime Ezra et lui offre un oiseau étrange. Ezra a le goût des mots comme sa mère, mais là, dans ce moment d’immense tristesse où le ciel pleure au point de recouvrir le village d’un lac de chagrin, il ne les trouvera pas. Enfermé dans une nuit sans fin, il s’élance en quête des mots perdus et son esprit s’aventure dans une épopée extravagante, où les petites marionnettes de bave et de papier de son enfance deviennent des dieux rocambolesques et grand-guignolesques, aussi drôles qu’ironiques.

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Quête des mots et du temps retrouvé

La pièce célèbre de belle façon les dieux stellaires du théâtre et la parole poétique qui élève les âmes. Ces dieux sont très bien servis par six comédiens au taquet, qui interprètent une quinzaine de personnages : John Arnold (Pierre), figure du bien-nommé Théâtre du Soleil voisin du Théâtre de La Tempête, Agnès Sourdillon (la mère fortement présente et la déesse Kowagountata Papo), Stanislas Perrin (le si touchant Oncle Jean, Monsieur Dieu), Mathilde Charbonneaux (la responsable des funérailles, l’hilarant Dionysos…), Pia Lagrange (Sarah…), Charlie Fabert (Ezra) et Simon Falguières (Ingmar Bergman). Le lien que construit l’auteur et metteur en scène entre le rêve et la vie est joliment et finement construit. Si le poème et l’art consolent, il est impossible de faire l’économie du réel, et la quête des mots se fait finalement traversée vers le temps retrouvé, dans l’attention à soi et au monde, l’acceptation du deuil et peut-être le miracle de l’amour. Ce qui est beau, c’est la filiation affirmée par l’artiste. La trame narrative est imprégnée de motifs de Tchekhov, qui ancrent la pièce dans les exigences de la vie. Une autre figure tutélaire est celle d’Ingmar Bergman, que Simon Falguières interprète lors d’une scène particulièrement réussie, qui se tient dans un vieux cinéma sur une île suédoise perdue. Le metteur en scène souligne que la pièce si habitée fait écho à l’antre extraordinaire de l’Oncle juif de Fanny et Alexandre (chef-d’œuvre absolu !). Une exaltante traversée, intime et éternelle.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Les Etoiles
du vendredi 6 janvier 2023 au dimanche 5 février 2023
Théâtre de la Tempête
route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 28 36 36. Durée : 2h.

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