La Terrasse

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Théâtre - Critique

L’Orage, d’Alexandre Ostrovski par Denis Podalydès et une troupe de grands comédiens, un spectacle de solide facture

L’Orage, d’Alexandre Ostrovski par Denis Podalydès et une troupe de grands comédiens, un spectacle de solide facture - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre des Bouffes du Nord
Mélodie Richard, incandescente dans L’Orage. © Jean-Louis Fernandez

Théâtre Paul Eluard de Choisy / Théâtre des Bouffes du Nord / adaptation de Laurent Mauvignier

Publié le 13 janvier 2023 - N° 306

Denis Podalydès réunit une troupe de grands comédiens pour servir l’adaptation que signe Laurent Mauvignier de L’Orage, d’Ostrovski. Un spectacle de solide facture, émaillé d’éclats incandescents.

Une société abêtie et mercantile, composée de provinciaux incultes et parvenus, corsetés par une religion sans aspiration, une morale sans envergure et le sommeil dogmatique des préjugés. Une mère tyrannique et sadique. Un potentat braillard et brutal, balourd et grossier. Des parasites et des veules. L’ennui partout et la beauté du paysage qui s’effrite, à force de n’être pas regardée. Seule échappatoire : se noyer dans la vodka ou dans la Volga. Tous choisissent l’eau de feu pour y tremper leur caractère. Katerina, elle, préfère le fleuve : ni l’extase de la prière, ni l’ordalie de la passion, ni l’épreuve de l’orage n’ont réussi à combler son âme. Au milieu des pusillanimes qui acceptent le joug à défaut de pouvoir manier le knout, deux grandes âmes brillent en vain : celle de Katerina, que Mélodie Richard interprète avec un talent incandescent, et celle de Kouliguine, pivot humaniste de cette mécanique implacable, que Philippe Duclos campe avec une bouleversante délicatesse. La mise en scène de Denis Podalydès est remarquablement servie par le jeu des deux comédiens, qui révèlent magistralement combien l’amour et la vérité sont toujours victimes de la peur.

Empire des passions tristes

Kouliguine et Katerina incarnent la raison et la passion. Le premier tâche de rassurer ses contemporains grâce au paratonnerre de l’intelligence ; la seconde affirme l’urgence d’aimer quand tout afflige, nuit et conspire à nuire. Pourtant, ils ne s’opposent pas. La scène où Katerina fait ses adieux à Boris (Julien Campani, remarquable amant détestable résigné à l’exil) est éblouissante. Mélodie Richard y excelle à suggérer que la mort est raisonnable quand on est seul à savoir aimer. Même éclat dans la scène où Kouliguine vient rendre hommage à la noyée maumariée, comme si la raison s’inclinait devant la force de la vérité passionnelle. L’intelligence et le cœur ont, en revanche, de très solides ennemis : les affects délétères qu’incarnent tous les autres personnages, qui ne savent ni comprendre ni affronter la peur qui les tenaille. Denis Podalydès affirme et montre que la pièce d’Ostrovski offre un miroir terrible aux frileux aujourd’hui. Ceux qui beuglent et ceux qui se taisent, ceux qui fuient ou qui font semblant de ne rien voir : tous sont victimes de leur propre faiblesse. Le metteur en scène conduit avec adresse les grands comédiens qu’il a choisis pour composer cette société gangrenée par la veulerie et l’indignité. La scénographie d’Eric Ruf suggère habilement que l’envers du décor est aussi sordide que l’endroit : dans l’intimité des foyers comme sur la place publique, l’effroi et la lâcheté ont gagné. Seule consolation, peut-être, à la fin : les plus jeunes se sont enfuis, pour vivre ailleurs, loin des invalides du cœur et des bourreaux ordinaires.

Catherine Robert

A propos de l'événement

L’Orage
du jeudi 12 janvier 2023 au dimanche 29 janvier 2023
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, boulevard de La Chapelle, 75010 Paris.

Du mardi au samedi à 20h et dimanche à 16h. Tél. : 01 46 07 34 50. Tournée : 8 au 18 mars aux Célestins - Théâtre de Lyon ; 24 mars à La Maison - Maison de la culture de Nevers agglomération ; 28 et 29 mars à la Scène Nationale d’Albi ; 2 et 3 avril au Parvis, scène nationale de Tarbes Pyrénées ; 6 et 7 avril au Théâtre de Caen ; 25 et 26 avril au Théâtre Saint-Louis de Pau.

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