La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Ruhe

Ruhe - Critique sortie Théâtre
Les comédiens et les choristes surgissent du public anonyme

Publié le 10 septembre 2007

Le metteur en scène belge Josse De Pauw fait entendre la parole des bourreaux ordinaires du nazisme. Exemplaires de la « banalité du mal »…

 

Le chant s’élance à l’unisson, vibrant d’un même chœur sur l’assemblée, assise sur de simples chaises dépareillées. Dressés au milieu du public anonyme, douze choristes du Collegium Vocale de Gand distillent la mélodie délicate, perlée de mélancolie, d’un lied de Schubert. Déchirant l’harmonie de cette communauté éphémère, une voix s’élève. Un homme prend la parole. Il raconte. La misère, son engagement dans le parti nazi pour « lutter pour de meilleures conditions, pour sortir de la Dépression. ». La camaraderie, le front, l’ivresse sanglante des combats. L’horreur. « Je ne suis pas capable de juger si c’était une faute » avoue-t-il. Puis le chant recouvre à nouveau le silence effaré, noué à la gorge par ces mots banals, durcis de fureur et de conviction, éraillés de doutes, de désespoir. Puis un autre, une femme, tout près, se lève à son tour… « Ils étaient faits de la même étoffe que nous, c’étaient des êtres humains moyens, moyennement intelligents, d’une méchanceté moyenne : sauf exception, ce n’étaient pas des monstres, ils avaient notre visage. » disait Primo Levi de ses tortionnaires… On entendait Schubert, aussi, au loin, dans les camps.

L’inhumain en chacun d’entre nous

Voilà ce qu’Hannah Arendt appelait « la terrible, l’indicible, l’impensable banalité du mal ». Des « gens effroyablement normaux », « ni pervers, ni sadiques », agents d’un système qu’ils servent et s’interdisent de juger. Ces récits, extraits de Les SS d’Armando et Hans Sleutelaar, un recueil d’entretiens avec des Néerlandais qui s’étaient volontairement engagés dans la SS au cours de la Seconde Guerre mondiale, témoignent du quotidien à hauteur d’hommes, quand l’Histoire n’avait pas encore départagé héros et criminels. Ils montrent la dilution de toute référence individuelle aux notions de bien et de mal dans les tracas au jour le jour, la complexité des choix, confus autrefois, limpides aujourd’hui puisque éclairés par la raison historique. A travers le dispositif scénique laconique, le jeu d’une sobre intelligence, Josse Pauw pointe l’inhumain qui guette en chacun d’entre nous. Tom Jansen, Dirk Roofthooft et Carly Wijs, comédiens de haute trempe, donnent à ces paroles une franchise déconcertante. Reste à la fin, projeté sur un écran, le dessin du plasticien David Claerbout : une eau forte figurant un paysage bucolique, hébété dans la quiétude du passé, immobile, semble-t-il… mais non, continue de remuer. Comme une mémoire, qui décidément ne peut pas se figer dans l’oubli.

Gwénola David


Ruhe, conception et mise en scène de Josse De Pauw, dans la cadre du Festival d’Automne, du 24 au 30 septembre 2007, à 20h, sauf dimanche à 17h, à la Maison de l’architecture – salle de la Chapelle, 148 rue du faubourg Saint-Martin, 75010 Paris. Rens. 01 53 45 17 17 et www.festival-automne.com. Durée : 1h15. En flamand surtitré.

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