Product
©Légende : Christian Benedetti interprète le monologue, génialement critique, de Mark Ravenhill.
Légende : Christian Benedetti interprète le monologue, génialement critique, de Mark Ravenhill.
Publié le 10 janvier 2008
Sylvain Creuzevault s’attaque au théâtre dynamité de l’anglais Mark Ravenhill.
Shopping and Fucking : le titre souffla comme une bombe au Royal Court en 1996. Non seulement parce que la satire écorchait vif la misère morale d’une société customisée où le fric empaquette même les valeurs les plus intimes. Non seulement parce que Mark Ravenhill, la trentaine pressée et inflexible, tisonnait à la pointe sèche les sordides réalités d’un monde où drogue et sodomie, ecstasy et branlette se négocient dans les bas-fonds de l’abjection. Mais aussi parce que cette pièce inouïe brisait les garde-corps du beau style et attirait une jeune génération qui se bousculait dans la salle de Sloane Square pour la première fois. L’auteur, qui étudia le théâtre et la littérature à l’Université de Bristol avec Sarah Kane, sarclait, sans dulcifiant aucun, le désarroi expurgé en violences quotidiennes et la déshérence d’une époque amputée de ces grands récits que furent Dieu, l’Histoire, le Socialisme.
La réalité transformée en produit
Dix ans après cette fracassante irruption sur la scène britannique – et plusieurs pièces remarquées depuis -, Mark Ravenhill récidive avec Product, monologue qu’il crée en 2005 au festival d’Edinburgh, sous la direction de Lucy Morrision. Sans céder à l’indignation manichéenne politiquement correct ni édulcorer sa force critique, le texte procède moins par attaque frontale à coups de séquences glauques que par un pernicieux détournement, phagocytant le processus du capitalisme pour mieux en pointer les insidieux et redoutables mécanismes. Ou comment l’industrie du spectacle récupère les douleurs les plus sacrées, les problèmes les plus ardus, pour faire produit de tout. En l’occurrence l’attentat du 11 septembre, le terrorisme d’Al-Qaida ou le camp de Guantanamo. James, producteur à gros budget, vend ainsi à une starlette l’histoire d’Amy : une businesswoman esseulée, qui cache l’ennui d’une vie lookée Gucci et les déchirures du cœur sous son tailleur Versace, s’éprend de Mohammed, grand type basané, membre du réseau, jusqu’à vouloir se transformer en bombe humaine à Eurodisney. Action, amour, aventure, sexe et suspens… le scénario reconditionne le réel en produit glamour, cousu de clichés « très tendance ». Tout comme les tabloïds décolorent les faits et les transforment en fiction consommable. « Tout est produit. Tout est port d’armes. » souligne Sylvain Creuzevault, qui met en scène Christian Benedetti. Voilà la pornographie de notre temps.
Gwénola David
Product, de Mark Ravenhill, traduction de Séverine Magois, mise en scène de Sylvain Creuzevault, à partir du 7 janvier 2008, à 20h, relâche dimanche et lundi, à La Java, 105 rue du Faubourg-du-Temple, 75010 Paris. Puis du 6 au 8 mars 2008 au Théâtre du Beauvaisis.