Pour autrui, texte et mise en scène Pauline Bureau

Avec Modèles (2011) qui explore la construction des identités féminines, Mon Coeur (2017) qui décortique l’affaire du Médiator, Hors la loi (2020) qui restitue le combat pour la légalisation de l’avortement, Pauline Bureau et les siens interrogent ce qui trouble et dérange les normes sociales et les standards juridiques, en investissant notamment la question du féminin. Fondé sur des faits réels, nourri de paroles et témoignages qui complexifient et éclairent les enjeux, son théâtre très abouti constitue un espace de réflexion autant que d’émotion. Cette dernière création retrace l’histoire d’un couple dont le désir d’enfant devient pour raison médicale impossible et qui décide alors de faire appel à la gestation pour autrui, grâce à une jeune femme qui à San Francisco accepte de porter leur enfant. Magnifiquement réussie, à la fois drôle et profonde, la très belle scène inaugurale réinvente la rencontre du couple, dans l’aéroport de Francfort paralysé par une tempête de neige, lorsqu’Alexandre (Nicolas Chupin) propose à Liz (Marie Nicolle) de faire le voyage avec lui dans une voiture louée pour l’occasion. Ils s’installent ensemble, Liz tombe enceinte, puis sa fauche couche révèle qu’elle est atteinte d’un cancer qui oblige à une ablation de l’utérus. Liz s’effondre puis se bat : « Avec des cartes pourries, on peut faire une belle partie. »

De l’ombre à la lumière

Sa sœur Kate (Rebecca Finet) installée à San Francisco travaille dans une maternité, où une collègue, Rose (Maria Mc Clurg), accepte avec enthousiasme de porter l’enfant de Liz et Alexandre. Si la mère de Liz (Martine Chevallier, si drôle) s’étonne de cette idée farfelue, toutes les cases sont cochées pour que cette histoire se passe à merveille, et la seconde partie de la pièce, malgré la confrontation aux tribunaux qui rechignent à transcrire l’acte de naissance en France, s’avère optimiste. Trop beau pour être vrai ? Dans nombre de cas sans doute, mais le choix d’aller de l’ombre à la lumière se défend. Car c’est ici l’expérience humaine qui se raconte, et singulièrement le désir qui se fait moteur, qui génère soin et attention aux autres, qui apaise les dissensions et transforme les comportements. Si elle s’avère moins centrée que d’autres pièces sur les enjeux juridiques et la complexité du vécu, et en cela édulcorée, cette dernière création n’en est pas moins réussie, grâce à une mise en scène orchestrée à merveille centrée sur le ressenti, au jeu impeccable des dix comédiens et à une scénographie éblouissante signée Emmanuelle Roy, qui permet de passer d’un espace à l’autre avec une étonnante fluidité, sans oublier la composition musicale de Vincent Hulot. Comédie dramatique percutée par un cruel drame intime, l’aventure humaine que traversent les protagonistes les révèle à eux-mêmes. Et questionne avec acuité l’infinie fragilité de la vie…

Agnès Santi