La Possession de François-Xavier Rouyer
Entre fable horrifique et science-fiction, [...]
Tommy Milliot met en scène une Médée solaire. En portant à son paroxysme les intentions du poète latin, éclairées par une traduction lumineuse, il nous invite à réfléchir sur la contemporanéité de cette figure tragique hors norme.
On aurait tort de penser qu’avec cette nouvelle création le metteur en scène s’écarte de l’ambition qui a fondé l’existence de sa compagnie, Man Haast. Nous dirions au contraire qu’elle la porte actuellement à son faîte. Ce goût revendiqué pour la contemporanéité, cette aspiration majeure à la mise en valeur de la langue incarnée, cette prédilection avouée pour la question de la parentalité, trouvent dans cette Médée l’opportunité de s’exprimer à plein. Paradoxalement. Figure mythique avant que d’être tragique, Médée, en lutte contre elle-même, épouse trahie qui revendique les droits de sa couche, orgueilleuse petite-fille du soleil qui peut tout oser, venge son honneur de princesse et de femme à la fois, non sans hésitations ni souffrances, en mettant fin aux jours de sa progéniture. Le choix de Sénèque, comme celui de la traduction de Florence Dupont, sont déterminants. Sénèque d’abord, créateur de son propre théâtre, poète auteur « d’un spectacle de mots », qui met puissamment l’accent sur les services que l’héroïne a rendus, à l’élite des Grecs, à Jason lui-même, père de ses enfants. La traductrice, ensuite, qui sait rendre mieux que justice à la capacité performative des auteurs latins à nous émouvoir ici et maintenant.
Une distribution de haute volée
Ainsi Médée vient-elle à nous. Figure féminine tragique exceptionnelle entre toutes, auteure de sa tragédie, elle choisit son destin. Tommy Milliot nous invite à accoucher avec l’héroïne du monstre qui l’habite. Nous assistons au passage de la puissance à l’acte, de cette montée de haine, enracinée dans une douleur innommable jusqu’à l’accomplissement du plus tabou de tous les crimes. La scénographie architecturale, minérale, verticale, « espace de projection sensoriel », concentre l’action, en exaltant la puissance poétique du propos. Ce dépouillement radical du dispositif scénique, opératique, est également conçu pour magnifier l’art de l’acteur. En l’occurrence, a fortiori, de celle qui porte le rôle-titre, Bénédicte Cerutti. Sa retenue est admirable qui évite tous les écueils dont celui de l’hystérique furieuse, pour donner à entendre la profondeur de la détresse et la libre détermination de celle qu’elle incarne. Cette accentuation minimaliste, exigence décapante, porte également le jeu de ceux qui l’accompagnent. Au premier chef, nous citerions Charlotte Clemens, la nourrice. Mais Miglen Mirtchev, dans le rôle de Créon, Cyril Gueï, dans celui de Jason sont également épatants dans le respect des intentions.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
Le mardi, les jeudis, vendredis, samedis à 20h, le mercredi 29 à 19h, les dimanches à 16h. Durée : 1h20. Dès 15 ans. Tél : 04 91 54 70 54.
En tournée :
Octobre 2021 : Du 7 au 9 au Théâtre National de Nice, les 13 et 14 octobre au Liberté-Châteauvallon Scène nationale
Novembre 2021 : Les 9 et 10 au Théâtre Durance – Scène conventionnée d’intérêt national art et création, les 23 et 24 au Théâtre d’Arles - Scène conventionnée d’intérêt national art et création
Décembre 2021 : Du 1er au 11 au théâtre des Célestins, Lyon
Mars 2022 : Du 10 au 12 au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence, du 25 au 28 à La Villette, Paris
Entre fable horrifique et science-fiction, [...]