Avignon / 2024 - Entretien / Baptiste Amann
« Lieux Communs », un thriller existentiel de Baptiste Amann
L’Autre Scène du Grand-Avignon/ Texte et mise en scène de Baptiste Amann
Publié le 3 juin 2024 - N° 323« Un thriller existentiel ». Telle est la nouvelle proposition de l’auteur et metteur en scène Baptiste Amann, dont on sait le goût pour l’éclatement des genres et l’intérêt pour la question du commun, du faire communauté. Dans la même veine, la création de cette 78ème édition du Festival approfondit la réflexion en interrogeant notre rapport à la vérité.
Vous ancrez vos pièces dans des lieux physiques qui ont à voir avec le communautaire : la banlieue pavillonnaire pour la Trilogie Des Territoires, la zone rurale avec Salle des Fêtes, un petit village avec La Truite. Votre nouvelle création formule-t-elle ce qui était précédemment, implicitement, à l’œuvre ?
Baptiste Amann : Avec Lieux communs, je porte un regard plus conceptuel sur cette notion qui travaille mes autres créations et qui m’apparaît comme étant un des principes actifs dans cette époque extrêmement polarisée, où nos existences sont réduites aux amalgames et à la stigmatisation. S’il fallait définir un lieu qui nous serait à toutes et à tous commun, ce ne serait pas celui dans lequel et auquel nous serions assignés, celui qui nous coince dans des stéréotypes jusqu’à la caricature de nous-mêmes, mais celui où l’altérité serait prise pour ce qu’elle est : une richesse. De cette réflexion est né le désir d’imaginer une fiction qui repose sur un principe d’incertitude pour tenter de contrarier la grille de lecture schématique imposée par le monde social et problématiser notre accession à la vérité.
Pourquoi avoir choisi la forme du thriller ?
B.-A : C’est le genre qui m’a paru le plus approprié parce qu’il permet à la fois de mener une intrigue sous le régime de l’enquête – ce qui est toujours jubilatoire à mettre en place – mais aussi parce qu’il permet de nourrir une réflexion sur notre rapport conflictuel à la vérité. À partir d’un fait divers fictionnel, le meurtre d’une jeune femme qui a eu lieu dix ans auparavant, se déploient quatre histoires implantées dans des espaces différents et scénographiées entre abstraction et figuration : le sous-sol d’un commissariat, la loge d’un studio de télévision, un atelier de restauration d’œuvres picturales et les coulisses d’un théâtre. Au départ, ces quatre situations n’ont, entre elles, aucun lien apparent. On comprend au fur et à mesure de l’avancée de la pièce qu’elles sont toutes tenues par le même fait divers. Le décryptage se révèle beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait puisqu’il ne permet pas d’imposer une vérité indiscutable : l’idée de la vérité va se faire et se défaire. Les personnages et les spectateurs doivent frayer avec cet irrésolu.
« L’idée de la vérité va se faire et se défaire. Les personnages et les spectateurs doivent frayer avec cet irrésolu. »
Qu’attendez-vous en termes de jeu ?
B.-A : Tout l’enjeu de la direction d’acteurs tient à ce qu’il y ait sans cesse une ambivalence au cœur des personnages. J’ai produit énormément de « matière noire » pour que chaque comédien puisse en profondeur habiter celle ou celui qu’il incarne. Les interprétations, et la pièce, tiennent sur un fil : l’émergence de cet irrésolu au cœur de l’antagonisme qui oppose les personnages pour faire glisser l’intrigue vers un questionnement plus existentiel. À la table de ces Lieux communs, y-a-t-il encore une place pour faire monde commun ?
Propos recueillis par Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
A propos de l'événement
Lieux Communsdu jeudi 4 juillet 2024 au mercredi 10 juillet 2024
à 11h. Relâche le dimanche 7 juillet. Tél : 04 90 27 66 50. Durée : 2h30.