Istiqlal de Tamara Al Saadi
Tamara Al Saadi signe un spectacle d’une [...]
C’était mon premier spectacle de Bartabas, et fût-elle tardive, la découverte n’en demeure pas moins mémorable. Le théâtre équestre de Zingaro se révèle d’une grande beauté.
En 1984, Bartabas crée son premier cabaret équestre. 37 ans plus tard, il y a peu encore le temps ordinaire d’une carrière professionnelle complète, il renoue avec cette forme et ouvre son spectacle sur le discours d’Isaac Bashevis Singer lors de sa réception du Prix Nobel de littérature en 1978. Celui-ci y explique pourquoi il écrit encore en yiddish alors que c’est une langue en voie de disparition, une langue hantée par des millions de fantômes assassinés. On pourrait demander à Bartabas et sa troupe pourquoi ils emploient encore cette langue du théâtre équestre à l’heure de la 5G et de l’animalisme. En quelques années à fréquenter les théâtres, c’était pour moi une première fois à Zingaro. J’allais avec envie et un peu de méfiance découvrir le travail de Bartabas, ce monument du spectacle équestre installé depuis plusieurs décennies du côté du Fort d’Aubervilliers. Je ne peux que regretter de ne pas l’avoir fait plus tôt.
Des images sidérantes de chevaux venus de nulle part
C’est en effet une langue à part entière que manient Bartabas et sa troupe. Une langue dont on n’a effectivement pas envie qu’elle meure. Un harangueur accueille le public dans le premier et impressionnant chapiteau qui sert aussi de restaurant. Puis on est conduit par petits groupes sous le deuxième chapiteau, où se déroulera le spectacle. Entrée par une stalle parmi les stalles occupées par les chevaux, on est immédiatement pris par l’odeur – les chevaux nous lancent un regard distrait – puis installé à une table par de vieux serveurs cocasses vêtus en noir et rouge, qui vous parlent dans toutes les langues. Sur la piste, un maréchal-ferrant et un forgeron chauve et tatoué font résonner l’enclume et fumer le brasier, entourés par des oies. La salle se remplit lentement, ainsi que les verres d’un vin chaud que les serveurs apportent dans une cérémonie clownesque via des bouteilles posées sur un corbillard tiré par un cheval. La musique klezmer de l’Orchestre du Petit Mish Mash baignera petit à petit la représentation. Celle-ci se déroule en trois parties. La première est lumineuse, la seconde plus sombre, la troisième en clair-obscur. On y croise des images sidérantes, des chevaux venus de nulle part, sortis d’un improbable imaginaire, des cavaliers qui volent, des numéros de voltige, de dressage, un bestiaire de masques, le tout sur fond de tradition juive : kippa, chofar, schtreimels, talit, papillotes. Plus que l’indéniable virtuosité des cavaliers et de leurs montures, c’est certainement cette capacité à créer des images étonnantes et belles, à nous imprégner d’une atmosphère nourrie de coutumes immémoriales qui impressionne encore, grâce au langage artistique de Bartabas, éprouvé, délicat et sensible, drôle et profond.
Eric Demey
Du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 17h30. Relâche le lundi et le jeudi. Tel : 01 48 39 18 03. Durée : 1h45.
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