Pli conçu par Inbal Ben Haim

Voir une cordiste émerger d’un cocon (de papier) n’est pas courant. Assister à son plongeon au creux de vagues (de papier), après l’avoir admirée dans des cintres enrubannés, non plus ! Avec Inbal Ben Haim, on n’est jamais au bout de nos surprises. Cette lauréate circusnext 2021, déjà associée au CCN2, centre chorégraphique national de Grenoble, déploie tout son talent dans ce spectacle original où le papier, matériau ordinaire, passe de la fragilité à la résistance par l’acquisition de nouvelles propriétés fonctionnelles, visuelles et musicales. Agrès, le papier se fait corde lisse. Réaliser des acrobaties sur ce support relève de la gageure, car il doit évidemment supporter le poids de l’acrobate. Cela n’empêche pas Inbal Ben Haim de se hisser très haut, tout en grâce et en malice. Substance essentielle de son processus créatif, le papier se prête à toutes les métamorphoses : tipi de fortune, cathédrale, rempart et même peau. Plié, collé, découpé, tissé, mâché, glacé, recyclé, il est utilisé dans différents grammages comme élément du décor, revêtant de surprenants atours grâce à sa transparence et sa malléabilité. La collaboration d’Alexis Mérat, ingénieur spécialisé dans les techniques de pliage (origami) et de froissage, ainsi que de Domitille Martin, sculptrice de matières composites et scénographe, a été précieuse pour en étudier des usages adaptés à leurs déclinaisons poétiques.

Plis audacieux

Ces artistes-là empruntent une voie royale, voire divine. Au début, de grands rouleaux de kraft tracent des pistes de recherche sur lesquelles ils s’activent, jusqu’au final, époustouflant, qui nous mène entre ciel et bas-fonds, dans les plis de l’âme. Les manipulations à vue sont sublimées par des éclairages particulièrement soignés. La bande musicale contribue aussi à la beauté du voyage, car l’expressivité sonore est bien exploitée : déchirures, froissements laissent place à une respiration bienvenue, entre l’ici et l’ailleurs. D’une pureté brute et organique, cette équipée riche en sensations nous transporte loin. Très loin. Elle soulève aussi des questions intéressantes sur notre vulnérabilité, réactivées par la crise sanitaire. Le papier apparaît ici métaphore de notre condition humaine. Comme ce matériau aux origines millénaires, toujours là, résistant face aux menaces numériques, au plastique, aux incendies, l’artiste de cirque évolue entre puissance et fragilité, prend des risques pour faire rêver les spectateurs. Pour leur rappeler aussi une chose essentielle : bien que vulnérable, l’humain est porteur d’une incroyable force de vie.

Sarah Meneghello