« Le Beau Monde », un rituel théâtral réjouissant de Simon Gauchet and co…
Le CENTQUATRE-PARIS / création collective de Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet et Blanche Ripoche
Publié le 21 août 2023 - N° 313En complicité avec le metteur en scène et scénographe Simon Gauchet, Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche invitent à un rituel théâtral qui depuis un futur lointain reconstitue des fragments de notre présent. Une tentative en tous points réjouissante, dont la simplicité minutieuse et la délicieuse fantaisie font la grandeur.
Retour vers le passé… Vers un monde révolu datant du XXIème siècle, dont ne subsiste qu’une multitude de fragments hétéroclites, numérotés et nommés, sans doute transmis oralement de génération en génération. En un lieu singulier aujourd’hui disparu, soit cet endroit où les gens se réunissaient « pour s’endormir ensemble en écoutant des histoires », se tient un drôle de rituel collectif, qui a lieu tous les soixante ans. Trois protagonistes appliqués mettent en forme et incarnent cette reconstitution d’un univers perdu délicieusement maladroite, évidemment beaucoup plus fantaisiste que réaliste, et tellement drôle. Alors que les menaces écologiques et autres s’amoncellent et assaillent notre attention, l’idée est belle de laisser place à la fragile et réjouissante inventivité de ces artistes-anthropologues qui tentent le mieux possible de convoquer notre présent, depuis un futur dont nous ne saurons rien, si ce n’est qu’il est devenu radicalement autre. En complicité avec le metteur en scène et scénographe Simon Gauchet, Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche ont conçu et interprètent la pièce, lauréate du Prix du Jury au Festival Impatience 2022, qui fut à ce titre programmée au Festival d’Avignon. Leur geste mémoriel quasi documentaire ne se fonde pas sur le souvenir mais sur des traces plus ou moins énigmatiques. Il n’est ainsi guère étonnant que certaines choses, dont leurs vêtements, soient à l’envers.
Regarder autrement le présent
Si les trois personnages maîtrisent la forme d’un discours intelligible, le fond demeure une absence mystérieuse. C’est justement ce décalage, cette absence du sens mais aussi des émotions, qui permettent de regarder autrement le présent, qui invitent à en mesurer la valeur, tout en créant une verve comique qui ravit. Avec une minutie, une précision et un savoir-faire qui enchantent, les artistes créent un parcours qui rebondit d’un sujet à l’autre sans jamais lasser, sans aucun effet de catalogue, sans tendance au bavardage ou à la dénonciation énervée, avec au contraire de petites touches qui font mouche. Parmi les fragments reconstitués : « les larmes », « les neiges éternelles », « le slow », « le baiser », « le football », « l’acte de propriété », « le passage d’animaux sauvages » (on l’aime bien, celui-ci), « la tendresse » (immanquable)… et beaucoup d’autres. Dans un espace épuré, parsemé de cailloux à la manière d’un Petit Poucet archéologue, ce sont non seulement des aspects concrets du monde ancien qui apparaissent, mais aussi certaines pratiques des relations d’antan, qui suscitent toutes sortes de commentaires et interrogations. Il est non seulement touchant mais aussi finalement percutant que ce soit la beauté du monde qui émerge du passé, plutôt que sa tendance à l’autodestruction ou à la cruauté ! Ce drôle d’inventaire est un régal, un moment suspendu qui accorde la place principale à la mémoire… et donc au futur.
Agnès Santi
A propos de l'événement
« Le Beau Monde »du mardi 12 septembre 2023 au samedi 23 septembre 2023
Le Centquatre
5 rue Curial, 75019 Paris
du mardi au samedi à 20h, dimanche à 17h. Tél : 01 53 35 50 00.
Également du 2 au 6 novembre 2023 au MAIF social club (Paris), du 13 au 18 février 2024 au Trident Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin, du 28 février au 2 mars 2024 au Théâtre-Sénart Scène nationale (Lieusaint), le 5 mars 2024 au Théâtre Châtillon Clamart, les 26 et 27 mars 2024 au Théâtre Jean Vilar (Montpellier), le 5 avril 2024 au Théâtre Louis Aragon (Tremblay-en-France), les 3, 4 et 5 mai 2024 au Théâtre-Sénart Scène nationale (Lieusaint). Spectacle vu en juillet au Festival d’Avignon 2023. Durée : 1h15.