La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon 2023 - Théâtre - Critique

Laurène Marx transfigure le genre et éclaire la nuit avignonnaise avec « Pour un temps sois peu » 

Laurène Marx transfigure le genre et éclaire la nuit avignonnaise avec « Pour un temps sois peu »  - Critique sortie Avignon / 2023 Avignon Le 11 Espace Mistral

Le 11 · Avignon / texte et jeu de Laurène Marx / mise en scène de Fanny Sintès

Publié le 13 juillet 2023 - N° 312

Bombe atomique au 11 ! Laurène Marx, mise en scène par Fanny Sintès, interprète le texte qu’elle a écrit. Une fièvre, une puissance, une émotion, une humanité qui laissent sans voix. Eblouissant !

Dans un coin de la cour du lycée Mistral, entre deux arbres et un bosquet, face à un micro et éclairée par quelques projecteurs, Laurène Marx dit son texte sur la condition trans. Tout étonne ; tout émeut ; tout questionne ; tout bouleverse dans la simplicité apparente du projet autant que dans l’intelligence et l’émotion du propos. Laurène Marx ne raconte pas sa vie : son spectacle n’a rien de la tranche sanguinolente dans laquelle l’aveu putassier enferme habituellement les damnés de la société pour rassurer les normopathes et les convaincre que la marge est aussi inconfortable que ténue. Pas de voyeurisme, mais de la distance, de l’esprit, des fusées poétiques et une fascinante douceur dans la traversée des cruautés. Laurène Marx dit « tu » : l’adresse embarque immédiatement le spectateur dans cette odyssée où la sirène a pris la place du héros. Etonnant, d’ailleurs, et Laurène Marx le suggère : les contes pour enfants s’émeuvent du sort de celle qui accepte de perdre sa queue pour plaire à un crétin couronné, alors que, devenus grands, certains vont casser du trans… Que certains se gaussent en cherchant les indices d’une virilité persistante comme on mesure les bestiaux à la foire ; qu’ils la soupçonnent de n’être pas tout à fait « elle » (le mérite-elle ? comment ose-t-elle se plaindre de l’opprobre quand elle l’a choisi ?) ; qu’elle dise son altérité en prenant le risque de conforter tous ceux qui se cachent derrière le magma indistinct du nous : Laurène Marx a toutes les audaces et dynamite les idées reçues autant que les attentes.

La nuit transfigurée

Qu’est-ce qui fait une femme ? Non pas la nageoire caudale, mais peut-être un menton un peu moins long, un regard alangui et admiratif, une plus grande souplesse dans le bras, le renoncement à la colère, trop virile, l’usage de la bouche pour tout autre usage que celui de la parole et des seins en guise de cuirasse. La chirurgie devient alors auxiliaire de la transformation. Laurène Marx évoque les souffrances et les humiliations subies par celui qu’on appellera Madame quand le bistouri aura taillé la femme dans le corps de l’homme en en réduisant le patron. Qu’est-ce qui fait une femme ? Là est la question, que posent essentiellement les obsessionnels du rangement qui se plaisent à trier les êtres selon des catégories et excluent le tiers par principe, même s’il est une transcendance, un dépassement des contradictions, un refus de la binarité, un consentement à être ce qu’on n’est pas et à n’être pas ce qu’on est (ce qu’on appelle liberté). De même que l’on distingue le chaud du froid, le haut du bas, le blanc du noir, le dessus du dessous, il faut que les genres soient ordonnés : malheur à qui sème le trouble dans les taxons ! Mais Laurène Marx clarifie plutôt qu’elle n’entretient la confusion : son verbe est tonique et clair, son humour est omniprésent, son verbe est salvateur et réparateur. Quand un spectacle réussit à ce point à conduire les spectateurs à interroger leurs représentations, leurs postures, leurs convictions, leurs peurs, leurs fantasmes, quand celle qui le porte ne réclame « la gloire ni les larmes, ni l’orgue ni la prière aux agonisants », le théâtre se fait résistant. A la bêtise, aux lieux communs, à la vulgarité du frisson scandaleux, à la jouissance frelatée du pervers qui s’encanaille, à toi, à nous, à tous ceux qui estampillent, partitionnent, classent, hiérarchisent, se demandent ce qu’est une vraie femme comme d’aucuns s’interrogent encore sur ce qui fait un vrai Français ou un chien de pure race. Admettons qu’on puisse s’en foutre, avec ou sans queue. Laurène Marx est Laurène Marx, et cela suffit. Elle est une personne, une singularité originale, forcément hors normes, comme tout un chacun pourrait aspirer à l’être. Son texte et le spectacle qui naît de la rencontre avec Fanny Sintès offrent un des moments les plus solaires de la nuit avignonnaise.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Pour un temps sois peu 
du dimanche 9 juillet 2023 au jeudi 27 juillet 2023
Le 11 Espace Mistral
11, boulevard Raspail, 84000 Avignon

à 21h25. Durée 1h55 (trajet compris de la billetterie à la salle). Tél. : 04 84 51 20 10. Relâche le 13 juillet. Tel : 04 84 51 20 10www.11avignon.com

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