La Terrasse

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Théâtre - Entretien

L’Absence de père librement adapté de Platonov d’Anton Tchekhov, mise en scène de Lorraine de Sagazan

L’Absence de père librement adapté de Platonov d’Anton Tchekhov, mise en scène de Lorraine de Sagazan - Critique sortie Théâtre saint denis Théâtre Gérard Philipe
Lorraine de Sagazan Crédit : DR

librement adapté de Platonov d’Anton Tchekhov / conception et mes Lorraine de Sagazan / adaptation Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix

Publié le 16 décembre 2020 - N° 289

Créée en juin 2019, la pièce conçue et mise en scène par Lorraine de Sagazan présente un Platonov au présent, dans lequel la fiction se nourrit de la vie réelle des acteurs et questionne notre époque.

Selon vous, qui est Platonov ?

Lorraine de Sagazan : La façon dont je le considère a évolué depuis la création, en particulier du fait du confinement. Je lis Platonov au sens propre, comme un petit Platon, un esprit critique qui provoque un doute nécessaire chez ses congénères englués dans leurs certitudes. Mais, depuis le confinement et la façon dont on a découvert l’importance des métiers qui sont régulièrement tenus pour rien, j’ai compris autre chose du personnage. Platonov est un instituteur. Au début de la pièce, on lui demande quel est son métier et on lui fait sans cesse remarquer qu’il aurait pu faire mieux. Or, quoi de mieux qu’être instituteur ? Voilà une question posée pendant le confinement et qui s’est révélée fondamentale : quoi de plus important que certaines professions pourtant méprisées ? Il est question, chez Tchekhov et dans cette pièce, de la valeur des positions sociales. La pièce est écrite à un moment où couve déjà la révolution en Russie. Et la situation actuelle présente des similitudes avec cette époque.

« J’ai absolument besoin de provoquer l’œuvre. »

Dans quelle mesure ?

L.S. : Au-delà du manque d’hospitalité, du mépris de classe et des inégalités sociales, il y a surtout cette question lancinante du déclassement. Ma génération (celle des trentenaires) est renvoyée aux mêmes questions que Platonov qui a fait des études, est resté droit et n’hérite pourtant que de dettes. Nous vivons la même chose, en héritant ne serait-ce que de la dette écologique et en constatant que malgré notre niveau d’études, l’ascension sociale est plus difficile pour nous. Le point de bascule de la pièce correspond à ce moment où monte la colère de Platonov face au mépris qu’il subit et qui le pousse à tout détruire. Comment ne pas penser à ce que l’on vit actuellement quand se manifeste la colère liée au mépris que renforce encore le mépris de cette colère ? Voilà pourquoi j’ai replacé la pièce en dialogue avec ce que vit notre génération, assurée qu’elle vivra moins bien que ses parents. L’interrogation commune est celle de ces enfants sans pères (qui est le sens littéral du titre original de la pièce, difficilement traduisible du russe au français) sur l’héritage reçu. Nous avons interrogé nos parents, biologiques et spirituels, les questionnant aussi sur leur rapport à leurs propres parents, réduisant ainsi la frontière entre l’acteur et le personnage ainsi que celle entre l’acteur et le spectateur, pour créer un lien entre Tchekhov et le récit des acteurs qui parlent en leur propre nom.

Pourquoi ce frottement entre réel et fiction ?

L.S. : Nous ne percevons qu’une partie du réel et notre cerveau traduit ce à quoi il assiste de manière subjective. La vérité est toujours subjective : elle résulte toujours du regard de quelqu’un porté sur quelque chose. On parle beaucoup du rapport qu’entretiennent le réel et la fiction au théâtre. Mais cela n’a pas de sens de dire qu’on travaille sur l’un ou l’autre, de même que leur conflit n’a pas de sens. Les deux sont indissociables, se complètent, se nourrissent de manière permanente. Si le réel est impossible à appréhender dans sa totalité, la fiction le peut : c’est alors un outil très utile, non pas une fin en soi mais un moyen d’élargir la perception du réel. Leur friction permet de créer une troisième chose, la représentation, qui, quand elle advient, relève de la réparation ou de la consolation.

Est-ce la raison de votre parti pris d’adaptation ?

L.S. : Nous nous sommes intéressés à plusieurs traductions mais nous avions besoin de nous sentir libres. Je suis rétive aux dogmes ou aux interdictions qui tuent la création. J’ai absolument besoin de provoquer l’œuvre. Celle-ci est incomplète, à réécrire, à compléter : tel est le travail de création théâtrale. Nous nous devons d’être des interprètes et c’est ce que les auteurs attendent de nous. En cela, le théâtre est un travail collectif où chacun a une place et cherche à faire émerger une œuvre. C’est d’ailleurs là que la rencontre avec le spectateur est possible : non en une célébration de l’entre-soi, pour admirer Tchekhov ou ses interprètes, mais pour partager la beauté, le tragique ou la puissance de l’ordinaire.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

L’Absence de père librement adapté de Platonov d’Anton Tchekhov, mise en scène de Lorraine de Sagazan
du jeudi 21 janvier 2021 au dimanche 7 février 2021
Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules-Guesde, 93200 Saint-Denis

Du lundi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30. Le 30 janvier, représentation à 18h. Relâche le mardi. Tél. : 01 48 13 70 00. Navette retour gratuite, tous les soirs vers Paris, le jeudi et le samedi à Saint-Denis. Le 9 avril à L’avant Seine – Théâtre de Colombes. Les 19 et 20 mai à Points communs – Théâtre 95 de Cergy (95). Du 1er au 4 juin à la Comédie de Valence. Autre spectacle de la compagnie à découvrir : La Vie invisible, du 2 au 13 mars à l’Espace Cardin, Théâtre de la Ville.

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