« La Porte d’Ensor » signée Marion Coutris et Serge Noyelle, pièce baroque et plastique envoutante
Théâtre des Calanques / texte de Marion Coutris / Mise en scène de Serge Noyelle
Publié le 27 mars 2024 - N° 319Avec cette nouvelle création signée par Marion Coutris et Serge Noyelle, le peuple carnavalesque des personnages fantasmagoriques qui hantent l’œuvre du peintre expressionniste belge James Ensor s’échappe des tableaux pour faire une remarquable entrée en scène. La pièce baroque et plastique, acte poétique troublant mêlant textes, musique et danse, est parfaitement maitrisée. Envoûtant.
L’intérêt du metteur en scène Serge Noyelle, co-directeur avec Marion Coutris du Théâtre des Calanques, pour le peintre James Ensor a été éveillé par la découverte, alors qu’il était encore élève des Beaux-Arts à Paris, de l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste préfigurateur du surréalisme : « Les masques scandalisés ». Le tableau organise un face à face déconcertant entre deux personnages masqués ; une femme, menaçante, munie d’un bâton, se tient dans l’entrebâillement d’une porte qu’elle vient manifestement de pousser et regarde l’homme assis devant une table, qui, dans une posture muettement interrogative, tourne sa tête vers elle. « J’ai été frappé », raconte Serge Noyelle, « par la grande théâtralité de cette œuvre. Et par cet élément en particulier qui, à mon sens, l’instruit dans ce tableau : la porte. La porte est un lieu en soi où se déroule la fable. Elle est aussi cet entre-deux qui lance un voyage imaginaire, qui nous permet de nous déplacer depuis le conscient vers l’inconscient ». Au centre du plateau nu métamorphosé en chambre noire, seul élément constitutif du décor jusqu’à la scène finale, en bois peint, à deux battants, elle trône. Elle intrigue. Entrouverte, elle laisse passer dans une succession de tableaux vivants oniriques la galerie de personnages, anges du bizarre ou diables du refoulé, imaginée par l’artiste dans sa période noire.
Des scènes d’une grande beauté plastique
Portée par des comédiens irréprochables, innervée par la dramaturgie de Marion Coutris, qui est également l’auteur des textes en forme de cadavres exquis, aussi fulgurants que profonds, la mise en scène de Serge Noyelle a l’élégance de ne pas appuyer sur la bizarrerie pour mieux faire éclater le sens transgressif et la beauté mystérieuse de l’œuvre picturale. Crescendo, le spectateur cueilli par des scènes d’une grande beauté plastique est invité à pousser la porte, à entrer dans l’univers baroque et fantasmatique qui caractérise les tableaux signés Ensor. Des dandys dont le costume et la posture ne vont pas sans rappeler ceux de Magritte ouvrent le ballet hallucinatoire ponctué par les apparitions soudaines d’une espèce d’Alice au Pays des merveilles, poupée sortie des livres d’images ou illuminée échappée d’un asile. Aux figures cérémoniales engagées dans une procession macabre, dont les visages sont couverts par de funèbres mantilles, succède, entre autres moments particulièrement saisissants, un défilé de personnages ricanants pris dans une grotesque mascarade. Des épisodes dansés, transes expressives libératrices notamment portées par Andrès Garcia Martinez, rythment et enrichissent un propos qui se passe des mots, comme en témoigne l’omniprésence de la partition musicale. Originale pour l’essentiel, la bande son fait place à quelques emprunts majeurs au répertoire baroque en orchestrant de véritables happenings musicaux, au nombre desquels il faut compter les prestations du haute-contre et accordéoniste Rémy Brès-Feuillet. Une partition théâtrale envoûtante.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
A propos de l'événement
La Porte d’Ensordu vendredi 22 mars 2024 au samedi 30 mars 2024
Théâtre des Calanques
Pôle Européen des Suds, 35, Traverse de Carthage, 13 008 Marseille
Les 22, 23, 26, 28, 29, 30 mars à 20h30. Durée : 1h30. Tél : 04 91 75 64 59.