« La France Empire » : Nicolas Lambert ranime le roman national
Théâtre de Belleville / Texte, mise en scène et interprétation de Nicolas Lambert
Publié le 29 mars 2024 - N° 320Après la trilogie L’A-Démocratie, consacrée au pétrole, au nucléaire et à l’armement, Nicolas Lambert revient sur l’histoire de France et la sienne pour comprendre l’amnésie du roman national.
Pourquoi un si long silence après la création du troisième volet de L’A-Démocratie en 2016 ?
Nicolas Lambert : Le Maniement des larmes, ce troisième volet, a rempli le Grand Parquet, le théâtre de Belleville, puis le 11 • Avignon, l’été suivant. Malgré un succès public et critique, les programmateurs n’ont prudemment pas suivi. J’ai fait autre chose. Mais par les temps qui courent, j’ai désiré revenir au plateau raconter deux ou trois choses, tant qu’il en est encore temps. Cette proposition s’adresse à tous ceux qui, comme cela a été mon cas, ignorent de larges pans de l’Histoire de France. La présence actuelle de notre armée dans notre ex-empire n’est, par exemple, pas sans rapport avec ce que la France y a fait et que l’on ne sait plus. Comme si nous partagions ensemble un secret de famille collectif, national : indicible d’abord, impossible à nommer ensuite. Je mets en scène ma propre naïveté : pourquoi ne m’a-t-on pas « déraconté » le roman national de l’empire de la République ?
« J’ai cru longtemps que les noms de nos rues étaient ceux de gens admirables. »
Quelle est cette naïveté ?
N. L. : Elle se retrouve à chaque coin de rue, devant chaque statue quand on ignore tout de celui auquel elle rend hommage. Qui est Gallieni qui donne son nom à rues et boulevards ? Qu’a fait cet administrateur colonial de si glorieux ? Idem : Faidherbe, Bugeaud, Lyautey, qu’ont-ils fait ? Il y a, partout en France, des traces de notre empire et je me suis aperçu que j’en ignorais tout. L’Algérie, l’Indochine : ma génération connaît ces noms ; mais, à part les Syriens, les Camerounais et les Comoriens, qui se souvient ici que la Syrie, le Cameroun ou les Comores ont fait partie de la République française, il n’y a pas si longtemps ? Nous, leurs enfants, vivons aujourd’hui ensemble : ne serait-il pas temps de nommer les relations qu’ont entretenues nos parents ? À vrai dire, la puce m’est venue à l’oreille lorsque, en 2017, j’ai découvert un sujet du brevet concernant les missions des militaires français sur le territoire national ou à l’étranger. Je me suis aperçu que j’étais moi-même ignorant de l’action de nos soldats depuis la Libération. En cherchant, j’ai découvert que les Trente Glorieuses ne l’étaient pas tant que cela, et correspondaient aussi à trente ans de guerre pour conserver l’empire.
Comment avez-vous construit ce spectacle ?
N. L. :Les précédents spectacles n’étaient faits que de documents bruts. J’intervenais parfois à la première personne en descendant du plateau, mais très peu. Avec celui-là, c’est l’inverse. Je me sers d’abord de mon personnage pour raconter une histoire avec des documents bruts. Comme un essai écrit au plateau. J’ai demandé à mon vieux complice Erwan Temple d’écouter mes recherches, puis j’ai retravaillé cette matière avec l’aide de ma camarade Sylvie Gravagna. En ces temps où nous sommes submergés par le numérique, je voulais une forme la plus sobre possible. À la manière de la commediades tréteaux, je raconte des histoires, qui font partie de notre Histoire. C’est un spectacle de dessillement : j’ouvre les yeux, sans jugement, en me rappelant que moi aussi, j’ai cru longtemps que les noms de nos rues étaient ceux de gens admirables.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
La France Empiredu mercredi 3 avril 2024 au jeudi 27 juin 2024
Théâtre de Belleville
16, passage Piver, 75011 Paris
Du mercredi au samedi à 21h15, dimanche à 17h, relâche les 17 avril et 4 mai. Tél. : 01 48 06 72 34.