La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon 2023 / THéâTRE-ENTRETIEN

Julie Deliquet met en scène « Welfare » d’après le film de Frederick Wiseman, au cœur d’un centre d’aide sociale

Julie Deliquet met en scène « Welfare » d’après le film de Frederick Wiseman, au cœur d’un centre d’aide sociale - Critique sortie Avignon / 2023 Avignon COUR D'HONNEUR DU PALAIS DES PAPES
La metteure en scène Julie Deliquet © Pascal Victor

Cour d’honneur du Palais des papes / d’après le film de Frederick Wiseman / mise en scène de Julie Deliquet

Publié le 15 juin 2023 - N° 312

24 décembre 1973 à New York, sans-abris, apatrides, travailleurs, mères célibataires, personnes âgées, immigrés et démunis se succèdent dans la permanence d’urgence d’un centre d’aide sociale. Julie Deliquet adapte le scénario du film de Frederick Wiseman dans la Cour d’honneur.

Comment avez-vous choisi d’adapter le film de Frederick Wiseman ?

Julie Deliquet : Ce spectacle est né d’une rencontre heureuse avec Frederick Wiseman. Habituellement, c’est moi qui invite le cinéma dans mon théâtre, là, c’est un cinéaste qui est venu à moi. Wiseman partage sa vie entre les États-Unis et la France, va beaucoup au théâtre et avait vu une grande partie de mon travail. Il m’a appelée en me disant qu’il voulait me rencontrer. Il m’a parlé de son processus de travail, m’a invitée à une séance de montage et m’a dit que Welfare pourrait devenir une pièce de théâtre. Sur le moment, je ne parvenais pas à me projeter dans sa proposition, sans doute parce que je ne réponds jamais aux commandes. Mais j’ai reçu un coup de poing en regardant Welfare : avec seulement une perche, une caméra, sans musique additionnelle, sans voix off, se déploie un ballet humain tragique, ahurissant de drôlerie et de cocasserie. À l’époque, je réalisais un film semi-documentaire dans les services d’oncologie de l’Institut Gustave-Roussy, et j’ai retrouvé cette même impression de découvrir des êtres que la difficulté autorise à être encore plus en vie que les autres. C’est alors que j’ai été nommée au TGP, à Saint-Denis. J’ai pris la tête d’un théâtre que j’ai fermé à cause du confinement. Au retour dans les murs, alors que nous ne pouvions toujours pas jouer, la première chose que nous avons travaillée a été le lien avec les profs, avec l’hôpital, avec les structures sociales. J’ai fait mes premiers pas de directrice et trouvé l’essence et le sens de ce métier par le lien à retisser après qu’il avait été coupé. Ça m’a missionnée, passionnée, ça a marqué l’identité de ma ligne programmatique. L’idée d’adapter Welfare est alors devenue concrète.

 « Parce qu’elle est tragique, cette comédie humaine s’universalise. »

Comment l’adaptez-vous ?

J. D. : Wiseman a une manière très particulière de travailler. Pour Welfare, il avait 150 heures de rushes, dont il a recomposé les plans pour raconter une histoire. Au moment de filmer, il se laisse le vertige de ne pas savoir ce que ça va donner. Il se définit comme « auteur de forme » et non comme documentariste. Je n’emprunte pas son œuvre visuelle, mais son montage, ses dialogues : je monte ce qu’il a écrit. Lorsque j’ai rencontré l’équipe d’Avignon, l’idée de jouer en plein air s’est imposée. Je voulais une opposition totale avec la mise en scène de Wiseman, qui est au plus près des visages, dans une forme très enfermée. J’avais envie d’un zoom arrière et aussi de montrer comment ces gens viennent faire du théâtre pour sauver leur vie, tant le welfare américain suppose que les bénéficiaires des aides sociales jouent la comédie pour dissimuler le peu qu’il leur reste. Cela produit des cocasseries qui arrachent l’œuvre au misérabilisme. Les personnages racontent leur histoire et retrouvent ainsi une place citoyenne. Cela donne un théâtre de la survie, tout en vitalité, qui montre comment on devient citoyen par la mise en mots. On n’est pas dans un naturalisme quotidien et administratif : ici, les mots, comme chez Beckett, sont d’une puissance vitale.

Comment allez-vous investir la Cour d’honneur ?

J. D. : J’ai été dans les premières à me faire vacciner au Stade de France pendant la pandémie. Il y régnait un tel silence ! Ce genre de lieu n’est absolument pas fait pour l’individu. On avait l’impression d’être dans un lieu trop grand pour nous. Il me fallait trouver, pour Welfare, un lieu comme celui-là, un lieu qui n’est pas fait pour ce qu’on vient y faire, occupé de manière inhabituelle, un lieu pour reconstituer cette permanence sociale, espace exceptionnel pour une journée exceptionnelle. Je n’ai pas la prétention de montrer le quotidien de ces vies en détresse ni d’aménager la distanciation pour parler de la France d’aujourd’hui. Nous sommes dans les années 70 à New York. Mais au fur et à mesure, la marginalisation typifie les personnages : ils sont hors de toute époque et questionnent les fondements de nos démocraties. Si la problématique est d’abord sociale, progressivement, les questions abordées deviennent philosophiques. Parce qu’elle est tragique, cette comédie humaine s’universalise. Les personnages peuvent être violents, l’œuvre n’est pas manichéenne. Et quand les travailleurs sociaux se retrouvent en vraie difficulté par manque d’effectifs, on ne peut pas ne pas penser à ce qui se passe dans nos services publics.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Julie Deliquet met en scène Welfare d’après le film de Frederick Wiseman
du mercredi 5 juillet 2023 au vendredi 14 juillet 2023
COUR D'HONNEUR DU PALAIS DES PAPES
Place du Palais, 84000 Avignon

à 22h ; relâche le 9. Tél. : 04 90 14 14 14. Durée : 2h30.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur Avignon

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur Avignon en Scènes