Souhaitant rendre à Tchekhov sa vérité, sa simplicité et sa vigueur en français, Philippe Adrien a retraduit Ivanov en compagnie de Vladimir Ant et en propose une très belle mise en scène.
Ingrat oublieux aux yeux de sa femme qui se consume de passion pour lui, monstre froid pour le médecin de celle-ci qui déguise son amour pour sa patience sous les oripeaux moralisateurs du grief incessant, raté sans ambition ou impuissant incapable d’honorer ses dettes, Ivanov n’est qu’une trace, la présence de son absence ou de son souvenir, un fantôme, un fantasme, une âme morte, un sujet vide qui n’est que ce que les autres disent qu’il est ou regrettent qu’il ne soit pas. Cet homme fatigué, persuadé d’être vieux à trente-cinq ans, s’ennuie à mourir et ne trouve nulle part les solutions de ses interrogations matérielles, sentimentales, existentielles et métaphysiques. Scali Delpeyrat, le visage blafard et les gestes en saccades d’une marionnette impuissante, campe Ivanov dans la vérité d’un jeu qui va jusqu’au presque effacement et qui atteint la perfection dans la scène de reproches qui l’oppose à sa femme, intensément interprétée par Florence Janas. Scali Delpeyrat réussit parfaitement à incarner ce que Philippe Adrien lit dans ce personnage : un sujet moderne, c’est-à-dire un libre-arbitre absolu que ne guide aucune morale et qui s’anéantit dans l’épreuve qu’il fait de lui-même en refusant le soutien du vieux Lebedev (excellent Etienne Bierry), le mariage avec Sacha, toute tentative d’engagement et tout pari d’existence, lui dont on dit justement qu’il est si piètre joueur de cartes…
Une réalisation scénique au plus près des enjeux du texte
Dans un très beau décor brumeux et cendré, aux matières et aux teintes harmonieuses qui fait naître de superbes tableaux, Philippe Adrien met en scène avec une remarquable maîtrise la mélancolie de cet antihéros errant dans une société bouffonnement tragique où règnent la cupidité et le calcul, les ragots et combines, les insultes et la médisance. Il réussit là où Tchekhov déplorait toujours que ses metteurs en scène échouent, en faisant naître le rire aux pires moments du drame. Le metteur en scène sait très finement jouer des contrastes des tempéraments entre ses comédiens et dirige une troupe dont les membres parviennent à donner une vraie intensité à chaque personnage tout en composant un ensemble fluide et harmonieux. Presque expressionniste dans ses inspirations esthétiques et dans son savant mélange entre grotesque caricatural et profond désespoir, cette mise en scène sait aussi jouer de l’onirisme, peignant avec art le monde perdu dans lequel se débat l’âme sans repères d’Ivanov. Beau parce qu’unifié dans ses propositions, juste par l’efficacité de la traduction revisitée du texte, ce spectacle est hautement abouti.
Ivanov, de Tchekhov ; mise en scène de Philippe Adrien. Du 23 septembre au 9 novembre 2008. Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 28 36 36.