Dominique Pitoiset
©Crédit photo : Mirco Magliocca
Légende photo : Nadia Fabrizio, Nicolas Rossier et Philippe Gouin portent le texte comme un oratorio
Crédit photo : Mirco Magliocca
Légende photo : Nadia Fabrizio, Nicolas Rossier et Philippe Gouin portent le texte comme un oratorio
Publié le 10 septembre 2008
Aux origines de la malédiction d’Œdipe
Dominique Pitoiset accoste sur les rivages de la Méditerranée, suivant l’épopée des grandes figures de la mythologie grecque pour remonter aux origines de la fatale malédiction qui pèse sur Œdipe et ses enfants. Portée par le souffle de l’écriture de Wajdi Mouawad, Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face fait résonner les éclats du tragique fichés dans la chair de notre époque.
« Œdipe, « l’homme qui boite », qui se pose la question de ses origines, de son identité et annonce la naissance de l’homme moderne en tant qu’individu. »
Pourquoi avez-vous demandé à Wajdi Mouawad d’écrire à partir des tragédies grecques plutôt que de les mettre en scène ?
Depuis quelques années, le désir de me confronter aux mythes de la Thébaïde me travaillait. Je me suis essayé à quelques tentatives de relier Les Phéniciennes d’Euridipe, Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, Oedipe Roi, Oedipe à Colone et Antigone de Sophocle. En fait, cette mythologie familiale me fascine, plus que les tragédies avec les chœurs. Or, il manque de vastes pans de cette fresque généalogique dans les textes que les siècles nous ont transmis, en particulier sur les ascendants d’Oedipe. D’où l’idée de remonter aux origines de la malédiction qui pèse sur Œdipe et ses enfants, d’écrire dans les lacunes et les interstices de la tragédie grecque. Wajdi Mouawad, par son écriture et son parcours, s’est imposé d’évidence. Né au Liban, dans l’ancienne Phénicie, là où Europe fut enlevée, là où débute cette longue histoire, il a fui la guerre avec ses parents, est passé par la France, s’est installé au Québec, a abandonné sa langue maternelle. Il a la nostalgie de l’odeur des figuiers. L’exil, la relation à l’autre, la présence de l’étranger, l’utopie de la cité ou encore la croyance trament son récit, ce voyage « à la recherche d’Europe ».
Comment Wajdi Mouawad se saisit-il de ces mythes’
Son texte est nourri des discussions que nous avons menées durant deux ans. Nous avions une complicité et une complémentarité thématiques : lui le mystique dans la posture de l’étranger, moi dans celle de l’athée autochtone. Il a composé un grand poème dialogué, elliptique, resserrant la narration autour de trois figures : Cadmos, « l’homme qui marche », qui quitte sa terre natale et chemine pour fonder l’utopie, Laios, « l’homme qui court », maudit par le désir interdit pour les jeunes garçons et Œdipe, « l’homme qui boite », qui se pose la question de ses origines, de son identité et annonce la naissance de l’homme moderne en tant qu’individu.
Wajdi Mouawad réinvente-t-il une Thébaïde de notre temps ?
A chaque génération d’écrire sa Thébaïde… Sur les traits du passé se superposent les questions d’aujourd’hui, quant au territoire, aux origines, à ce qui fonde une culture, aux difficultés de vivre ensemble en paix. Les bruits du conflit israélo-palestinien et les ruines de Beyrouth grondent au lointain, mais également les interrogations sur l’existence d’une force supérieure ou d’un Dieu qui régirait le destin. Ici la réponse qu’attend la Sphinge est une question : « qu’est-ce que l’homme ? ».
Comment avez-vous orchestré ce récit ?
L’épopée ne suit pas un déroulé linéaire, ni ne correspond aux situations théâtrales conventionnelles où s’exposent et se résolvent les conflits. Ici, les dés sont déjà jetés. Discontinue, fragmentaire, la narration porte peu d’actions mais distille beaucoup d’images. Elle tinte comme un oratorio, qui exige des acteurs une grande sincérité. Nous avons conçu l’espace comme un « laboratoire de narration », où viennent s’impriment les dessins animés de Kattrin Michel, où la partition d’André Litolff exhale la musicalité du poème.
La pièce témoigne d’un retour du théâtre épique aujourd’hui, alors que le 20ème siècle s’achevait avec la fin des grands récits.
Wajdi Mouawad écrit des histoires et est traversé par les mouvements de l’Histoire. Je crois que nous n’en avons pas fini avec les récits fondateurs. Ils ne sont pas seulement porteurs d’identité, de mémoire et de culture, mais nécessaires à notre constitution, à notre conscience d’individu. Ils tracent un chemin pour s’émanciper de la barbarie, du fatalisme et ouvrir des perspectives humanistes.
Entretien réalisé par Gwénola David
Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face, de Wajdi Mouawad, mise en scène de Dominique Pitoiset, du 16 septembre au 4 octobre 2008, à 20h30, sauf le 28 septembre à 15h, relâche lundi et dimanche 21 septembre, au Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris. Rens. 01 42 74 22 77 et www.theatredelaville-paris.com. Texte publié par Actes-Sud Papiers.