Les Apôtres aux cœurs brisés – Cavern Club Band de Céline Champinot
Dans la troisième partie de sa trilogie où [...]
L’auteur et metteur en scène Nasser Djemaï rend hommage aux chibanis, ces anciens venus travailler en France dans les années 1950 et 1960, que la société a rendus invisibles.
Il y a Driss (Lounès Tazaïrt), Hamid (Azize Kabouche), Majid (Angelo Aybar), Shériff (Kader Kada) et El Hadj (Azzedine Bouayad). Tous les cinq sont ce que l’on appelle des Chibanis, c’est-à-dire, en langue arabe, des « anciens », des « cheveux blancs ». Venus en France pour subvenir aux besoins de leur famille restée au Maghreb, ces travailleurs immigrés ont passé leur vie loin des leurs, dans nos usines ou sur nos chantiers, contribuant à la prospérité d’un pays qui n’a pas su leur faire de place. Un jour, un jeune « Français de souche » (David Arribe) fait irruption dans le foyer Sonacotra au sein duquel ces ouvriers à la retraite ont, pour diverses raisons, décidé de finir leurs jours. C’est le début d’une fable initiatique qui nous plonge au sein de l’intimité de ces êtres que la France veut oublier. « Il faut respecter la pudeur, la fierté et la noblesse de ces ancêtres, déclare l’auteur et metteur en scène Nasser Djemaï, et aussi, avec délicatesse, brancher le détonateur et faire exploser des moments de vérité, avec toute la violence, la cruauté et la drôlerie qui s’imposent. » Tout est dit.
Porter notre regard sur des oubliés de l’histoire
Coups de gueule, coups de main, éclats de rire, fantômes surgissant du passé, parties de dominos autour d’une table en formica… Évitant les clichés et les facilités sentimentales qui pourraient alourdir ce type de projet, Nasser Djemaï crée un théâtre du quotidien, un théâtre du sensible qui porte un éclairage plein de finesse sur ces hommes habituellement cantonnés à l’ombre. Rien n’est jamais forcé, dans ce spectacle à haute valeur politique. Aucune réplique ne vient jamais nous faire la morale. Servi par une troupe de comédiens exemplaires, Invisibles (texte édité chez Actes Sud-Papiers) nous touche au cœur. Qu’il est joyeux, en ces temps de crispations et de dérives discriminatoires, d’assister à un spectacle d’une humanité aussi simple, aussi essentielle. Ces Chibanis nous font rire, nous émeuvent, nous ramènent aux évidences de problématiques de vie pourtant complexes. « La misère, ça n’a jamais fabriqué des frères », confesse l’un de ces hommes. Le théâtre, lui, lorsqu’il touche à cet endroit de plénitude et d’équilibre, peut avoir cette vertu.
Manuel Piolat Soleymat
du mardi au vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 17h. Tél : 01 43 90 11 11. Spectacle vu à la MC2 Grenoble en décembre 2012. Durée : 1h30.
Dans la troisième partie de sa trilogie où [...]