La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien /REPRISE

Hors la loi de Pauline Bureau

Hors la loi de Pauline Bureau - Critique sortie Théâtre Paris Le Vieux-Colombier

Reprise / Théâtre du Vieux-Colombier / texte et mise en scène Pauline Bureau

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Pauline Bureau crée à l’invitation de la Comédie-Française Hors la loi, à partir du célèbre Procès de Bobigny qui en 1972 ouvrit une brèche vers la légalisation de l’avortement trois ans plus tard.

Votre écriture se fonde sur le réel. Pourquoi ?

Pauline Bureau : Je trouve fascinant de porter à la scène des histoires réelles pour en dégager les lignes de force, la poésie, l’engagement et les combats qu’elles représentent. Ce qui m’intéresse surtout, c’est explorer les liens complexes qui se tissent entre les champs intime, psychologique, juridique et sociétal, c’est la manière dont nos vies sont façonnées par la loi, la culture et les normes sociales. Les créations Modèles (2011) sur la construction des identités féminines, Dormir Cent ans (2015) sur le passage à l’adolescence, Mon Cœur (2017) sur l’affaire du Mediator : chacune à leur manière, ces pièces nous ont conduits à une prise de conscience, partagée avec les spectateurs. Hors la Loi, créé à l’invitation de la Comédie-Française, s’avère très éclairant. La façon dont le corps des femmes est traité par la loi, dictant ce qui est bon ou pas pour elles, est une question passionnante. Aborder des sujets tabous sur le plateau, des sujets qui rendent honteux et coupables, cela fait du bien à tout le monde. Cette appréhension par la scène a un effet cathartique. Lorsqu’on se documente, il est d’ailleurs stupéfiant de constater que la réalité est toujours plus folle que ce que l’on croyait. Créer à partir du réel, cela implique de prendre le risque de la rencontre. On accepte d’être changé, les choses se complexifient. Le plateau devient un point de rencontre, avec des êtres et une pensée en mouvement.

« ABORDER DES SUJETS TABOUS SUR LE PLATEAU, DES SUJETS QUI RENDENT HONTEUX ET COUPABLES, CELA FAIT DU BIEN À TOUT LE MONDE. »

La question du féminin traverse vos spectacles…

P.B.: La création de Modèles en 2011 a entraîné pour moi une prise de conscience, m’a permis de comprendre quelle était ma place en tant que femme. C’est un spectacle fondateur, qui interroge les petites filles que nous étions et les femmes que nous sommes devenues. Ce questionnement très concret m’a rendu beaucoup plus sensible aux inégalités entre hommes et femmes. Cet axe de recherche invite à déjouer toutes sortes de mécanismes d’autocensure puissants. Un tel champ d’investigation est un terreau fertile. D’autant qu’être actrice ou metteuse en scène implique de dépasser le fantasme qu’on a de soi, génère un travail d’ouverture d’esprit, de lucidité, sans se laisser enfermer dans un perfectionnisme mortifère. Il s’agit d’une quête, toujours en mouvement, comme la vie…

Comment avez-vous appréhendé la question de l’avortement clandestin dans Hors la loi ?

P.B.: Le point de départ du spectacle, c’est une interview passionnante de Marie-Claire Chevalier, que nous avons réalisée à propos de l’épreuve qu’elle a traversée adolescente. C’est en effet son histoire qui est à l’origine du Procès de Bobigny, qui s’est tenu en octobre 1972. Alors qu’elle n’avait que 16 ans, elle fut violée par un camarade de classe ; elle fut ensuite dénoncée, arrêtée et accusée pour ce qui constitue un crime selon la loi de 1920 : l’avortement. Gisèle Halimi la défend en une plaidoirie qui se fait tribune publique contre une loi assassine, qui a entraîné la mort de quelque 250000 femmes jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de 1975 portée par Simone Veil. Les minutes du procès sont sidérantes. Je me suis appuyée sur de nombreux documents d’archives. Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig, le Prix Nobel de médecine Jacques Monod ou encore Michel Rocard sont entendus comme témoins. Nous nous sommes rendus compte que lorsque les langues se délient, on découvre quasi dans chaque famille une histoire d’avortement clandestin. Le spectacle éclaire les croisements qui opèrent lorsqu’une histoire individuelle rejoint la grande Histoire. Il est fascinant d’observer comment la construction de la loi reflète l’état de la société. Neuf comédiennes et comédiens interprètent une vingtaine de rôles. Le théâtre est un endroit adéquat pour éclairer l’incroyable courage de ces femmes – les accusées et celles qui les défendent –, pour dévoiler l’expression de l’intime mais aussi les formidables répercussions politiques, sociales et juridiques de ce procès visant la liberté des femmes.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Hors la loi
du vendredi 18 septembre 2020 au dimanche 1 novembre 2020
Le Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris

Tél : 01 44 39 87 00.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre