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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Gwénola David et l’éducation artistique / Parlons-en, faisons le !

Gwénola David et l’éducation artistique / Parlons-en, faisons le ! - Critique sortie Théâtre

Entretien Gwénola David
Débat et réflexions / Education artistique

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Gwénola David dirige ARTCENA – centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre. Particulièrement attentive à l’éducation par l’art, elle a assuré la coordination générale de la Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse, lancée en 2013, manifestation nationale dédiée au jeune public et à la mise en lumière de la création qui lui est dédiée.

Que dire du rapport qu’entretiennent les artistes avec l’éducation par l’art ?

Gwénola David : J’observe une évolution vers plus de sensibilisation et d’engagement des artistes quant aux enjeux de l’éducation par l’art. Pour certains, le partage par la pratique artistique, l’inscription sur un territoire et la rencontre avec ceux qui l’habitent, participent de leur démarche de création. Toute une génération a été marquée par une conception surplombante du créateur et une vision dévalorisante et condescendante de l’éducation populaire, et par conséquent de l’éducation artistique et culturelle. Effets de la politique publique sans doute, les compagnies sont, depuis quinze à vingt ans, très sollicitées par les chargés de relations publiques des théâtres, et invitées à proposer des projets à destination des spectateurs. Lorsqu’une compagnie est associée à une structure, ou même quand elle cherche à diffuser son spectacle, ceux qui l’accueillent lui demandent souvent quelles actions peuvent être organisées sur le territoire pour accompagner la représentation. Certes, des metteurs en scène internationalement reconnus et programmés sur des grandes scènes ont des calendriers de tournées qui ne permettent pas une telle relation sur un territoire. En revanche, la demande est forte vis-à-vis des compagnies régionales ou nationales et des artistes en résidence. Il me semble primordial, d’une part, ne de pas réduire l’éducation artistique et culturelle à la conquête de spectateurs pour remplir les salles, et, d’autre part, de reconnaître à chaque artiste le droit d’avoir du goût pour ce type d’expérience ou pas, et l’envie d’en nourrir ou pas son travail. Les interventions en milieu scolaire par exemple sont vidées de leur sens quand elles deviennent des obligations. Je milite pour une éducation artistique et culturelle où l’artiste est placé dans son statut d’artiste et pas dans celui de l’enseignant : chacun son rôle ! L’artiste doit se mettre à hauteur d’enfant, ce qui déplace son regard, et demeurer dans sa posture d’artiste pour déplacer les représentations de l’enfant, lui ouvrir des possibles par la création. Il se produit un double déplacement. Son intervention n’a donc de sens que s’il intervient en tant qu’artiste. Il faut, en plus, qu’il y ait coanimation et coconstruction : un atelier se construit et s’imagine entre l’artiste et l’enseignant ou le médiateur. L’éducation artistique ne se décrète pas en lâchant des artistes dans une classe !

 » L’éducation artistique ne se décrète pas en lâchant des artistes dans une classe ! « 

Quels sont les handicaps qui empêchent encore son complet déploiement ?

Gwénola David : La généralisation de l’éducation artistique et culturelle est affichée comme une priorité des politiques publiques depuis de nombreuses années, ce qui ne veut pas dire que les crédits suivent. Son développement progresse beaucoup grâce à l’engagement militant sur le terrain. Cette préoccupation est affichée depuis dix ans par le ministère de la Culture mais reste entravée par le manque de moyens, de structuration des politiques et d’articulation des actions et des outils. La formation initiale des artistes et des enseignants demeure très insuffisante, voire inexistante pour la plupart d’entre eux. La collaboration interministérielle est complexe, autant que l’est celle entre l’Etat, les collectivités territoriales et les structures culturelles, même si tous développent des programmes culturels pour arriver à sensibiliser les publics. La conséquence en est – et tout le monde le reconnaît, que ce soit les artistes ou les enseignants – une grande lourdeur des montages de projets et de leurs cahiers des charges. Pour dire les choses encore autrement : l’éducation artistique et culturelle est une préoccupation nationale réelle, mais beaucoup de choses manquent encore pour que tous les enfants fassent un parcours artistique et culturel durant leur scolarité. Trois angles morts demeurent : d’abord le manque de moyens, ensuite le mille-feuilles administratif (l’imbrication de dispositifs pas toujours cohérents et logiques et le manque d’outils de coordination). Il en est un troisième un peu moins évident et qu’a à nouveau posé le débat à propos du pass Culture. S’opposent en effet les défendeurs d’une vision descendante de la culture, à la Malraux, selon laquelle il existe des œuvres majeures de la culture qu’il faut rendre accessibles au plus grand nombre, et ceux qui considèrent que la subvention de l’offre n’a pas permis une démocratisation de l’accès à l’art et qu’il vaut mieux soutenir la demande. Cela suppose que chaque enfant soit capable d’élaborer librement ses choix et que les effets du lavage médiatique des cerveaux soit sans effet sur cette demande, ce qui est, reconnaissons-le, au moins à discuter !

Dans quelle mesure participez-vous à la promotion de l’éducation artistique et culturelle ?

Gwénola David  : ARTCENA est un centre de ressources qui aide les professionnels à mener leurs projets et les secteurs de la création à se développer, et soutient la création contemporaine. Informations et documentations sont disponibles sur place, rue de la Folie-Méricourt, à Paris, et par internet. En plus de conseils et de formations, nous développons toute une action de ressources sonnantes et trébuchantes, et de promotion nationale et internationale des spectacles. Nous sommes associés à la Coopérative pour l’éducation par l’art, crée en 2018 après l’appel de Robin Renucci. Elle regroupe une trentaine de structures (petites et grandes) dans les différents champs artistiques. Les participants œuvrent concrètement à la mise en place de l’éducation artistique et culturelle par le partage d’expériences, tout bêtement parce que, là comme ailleurs, la bonne idée du voisin peut être utile. Nous avons choisi un fonctionnement horizontal, et, au fil du temps, des chantiers ont été dégagés. Parmi ceux-là, un des plus important est consacré à la formation, en veillant toujours à rester très attentifs aux retours du terrain. Un autre consiste en une veille des ressources afin d’aider à la mutualisation des expériences et de réussir à dégager des critères d’évaluation des projets d’éducation artistique et culturelle. C’est pour traduire concrètement cette conviction de la nécessité de l’éducation par l’art qu’ARTCENA lance un projet sur la fabrique de l’écriture en lien étroit avec Les Grand Prix de littérature dramatique et littérature dramatique jeunesse que nous décernons chaque année. Avec quelques classes des académies de Paris et de Créteil et en partenariat avec le Conservatoire, nous proposons tout un parcours qui commencera le 12 octobre 2020 et qui croisera lecture des œuvres, ateliers d’écriture, découverte du Conservatoire et de ses métiers, rencontre avec les dramaturges et les comédiens. Soyons clairs : l’éducation artistique, c’est bien d’en parler mais c’est mieux d’en faire, alors allons-y !

Propos recueillis par Catherine Robert

Entretien réalisé dans le cadre de la publication du Carnet n°8 de L’Anthropologie pour tous, intitulé Pour une école des arts et de la culture. A paraître en septembre 2020. oLo Collection Site : www.anthropologiepourtous.com

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