La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

A l’abordage d’Emmanuelle Bayamack-Tam d’après Le Triomphe de l’amour de Marivaux, mise en scène de Clément Poirée

A l’abordage d’Emmanuelle Bayamack-Tam d’après Le Triomphe de l’amour de Marivaux, mise en scène de Clément Poirée - Critique sortie Théâtre Paris La Tempête - Cartoucherie

Théâtre de la Tempête / d’Emmanuelle Bayamack-Tam d’après Le Triomphe de l’amour de Marivaux / mes Clément Poirée

Publié le 13 juillet 2020 - N° 286

Emmanuelle Bayamack-Tam propose une relecture jubilatoire de l’utopie abstinente inventée par Marivaux. Clément Poirée la met en scène pour un éloge de l’amour comme arme contre la peur.

Comment avez-vous eu l’idée de confier la réécriture de Marivaux à Emmanuelle Bayamack-Tam ?

Clément Poirée : J’ai rencontré Emmanuelle par son écriture en lisant Arcadie, roman qui passait de main en main autour de moi quand il est sorti. J’ai été complètement emballé par l’histoire de cette métamorphose d’une jeune fille, élevée dans une communauté qui prône l’amour universel à l’abri de toute technologie, qui conquiert sa liberté en choisissant son univers. Je n’ai pas eu envie de l’adapter tant ce roman me semblait parfait en lui-même et j’avais envie de cette voix-là. Nous nous sommes rencontrés, et au fil de la discussion nous en sommes venus à parler de Marivaux et du Triomphe de l’amour. Le parallèle est évident puisque, chez Marivaux, deux jeunes filles arrivent dans une communauté abstinente et moralisatrice qui se garde de l’amour comme du pire des dangers, et elles réussissent à conquérir l’objet de leur désir. Dans les deux cas, on assiste à une métamorphose émancipatrice. Un dialogue passionnant a ainsi commencé entre une écrivaine du XXIème et un dramaturge du XVIIIème, nourri par les répétitions et qui débouche sur une œuvre inédite où l’imaginaire foisonnant d’Emmanuelle circule entre les grandes figures et les archétypes de Marivaux. Même si quelques citations traversent les siècles, la langue est contemporaine. Comme Molière réécrit Plaute, Shakespeare les Elisabéthains ou Marivaux les Italiens, Emmanuelle s’inspire d’une trame, garde les personnages mais écrit avec sa propre langue. En revanche, la structure demeure fidèle à celle de Marivaux, avec la même distribution : deux jeunes filles arrivent dans un jardin à l’abri des regards et surmontent tous les obstacles qui les séparent de l’objet désiré, protégé par un jaloux.

 « C’est une pièce sur le triomphe de la jeunesse. »

Quelle est la morale de cette histoire ?

C.P. : Les morales de Marivaux sont toujours extrêmement troubles ! Plutôt qu’édifier, elles provoquent le doute. C’est pareil ici. Ce qui apparaît surtout, c’est l’écart entre deux tentations : celle de se protéger du monde en s’abritant dans de petites communautés et celle du bouillonnement de la vie, du désir, de l’amour qui demande d’être sans peur et de dépasser la génération frileuse des adultes. C’est une pièce sur le triomphe de la jeunesse au sein d’un monde qui considère qu’il n’y a pas de salut hors de la mise à l’abri, sur son incroyable jubilation qu’on essaie de contenir en exigeant qu’elle se protège et sur la tension entre ce désir de protection et le besoin presque physiologique de transcender tout ça, afin que le corps exulte et que l’âme jubile.

Conflit entre désir et mise à l’abri donc pièce sur le confinement ?

C.P. : Absolument pas ! Le projet a été lancé bien avant l’arrivée de cette maladie. Remarquons que cette dernière a renforcé la fascination morbide de notre époque pour le risque d’écroulement. Il faut, je crois, que naissent des contre-mouvements pour éviter que la jeunesse (et surtout celle qui est en nous !) étouffe ou fasse exploser l’étau. Toujours est-il qu’il est passionnant d’étudier cet antagonisme au plateau et beau que deux jeunes femmes soient porteuses de cette envie vitale et de cette renonciation à la peur. Le confinement a cependant eu une influence sur notre création, ne serait-ce que parce qu’il l’a fracassée ! Nous avons donc voulu nous affranchir des incertitudes en créant un espace plus clos que d’habitude autour duquel s’installent les spectateurs. Nous caressons le bel espoir de retrouver des salles bien remplies. Je ne crois pas que Netflix ait effacé l’envie du spectacle vivant. Les gens ont besoin de ce moment de communion et beaucoup d’entre eux considèrent que la vie sociale ne se résume pas aux réseaux du même nom. Nous avons manqué, pendant le confinement, d’autres langages que la seule parole d’information : il nous faut respirer à nouveau. Pour les praticiens comme pour le public, ce moment réinterroge notre désir de théâtre : je ne crois pas qu’il soit seulement une cerise sur le gâteau quand tout va bien et que la société est en pleine santé. Plus que jamais, je crois aux vertus politiques et sociales du théâtre !

 

Catherine Robert

A propos de l'événement

A l’abordage
du vendredi 11 septembre 2020 au dimanche 18 octobre 2020
La Tempête - Cartoucherie
route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris

Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 28 36 36.

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