La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Françoise Dô présente « Juillet 1961 », une proposition hybride entre littérature, théâtre et musique. Un spectacle fort !

Françoise Dô présente « Juillet 1961 », une proposition hybride entre littérature, théâtre et musique. Un spectacle fort ! - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre ouvert
Wanjiru Kamuyu, Rosalie Comby et Roberto Negro dans Juillet 1961. © DR

Théâtre Ouvert / texte et mise en scène Françoise Dô

Publié le 19 avril 2023 - N° 309

Artiste associée à la Comédie de Saint-Étienne et la Cité Internationale des arts de Paris, l’autrice, metteuse en scène et comédienne Françoise Dô présente Juillet 1961 à Théâtre Ouvert. Une proposition hybride — entre littérature, théâtre, musique — qui avance avec force vers une explosion de violence.

Chicago, juillet 1961. L’action prend place trois ans avant l’adoption, en 1964, du Civils Rights Act, loi interdisant aux États-Unis toute forme de ségrégation fondée sur la « race, la couleur, la religion ou l’origine nationale ». À cette époque, une petite fille noire de 10 ans peut encore se faire fouetter, légalement, parce qu’elle se baigne dans un lac avec sa meilleure amie, sa voisine, une petite fille blanche du même âge. Cette atrocité est un bout de l’histoire kaléidoscopique qu’a écrite et que met en scène la talentueuse Françoise Dô à Théâtre Ouvert (le texte, lauréat du Prix ETC_Caraïbe en 2019, est publié par Théâtre Ouvert Éditions / Collection Tapuscrit). Cette histoire, qui s’assemble comme un puzzle, est relatée par trois voix. Celles de Rosalie Comby et Wanjiru Kamuyu, comédiennes présentes sur le plateau, micro à la main ou sur pied, qui interprètent deux jeunes mères. Celle de Christopher Mack (en anglais, surtitrée en français), hors champ, enregistrée lors de la résidence de création effectuée par l’autrice et metteuse en scène à Chicago, dans le cadre du programme d’échange de la fondation franco-américaine FACE, qui interprète le père de l’une des deux femmes. L’écriture du spectacle passe également par la performance musicale de Sylvain Darrifourcq et Roberto Negro. De part et d’autre du centre de la scène, assis devant des pianos droits arrangés et divers instruments de percussion sonorisés, les deux musiciens créent des panoramas musicaux qui échappent au narratif, autant qu’au mélodique, pour composer des environnements sonores entre retenue et véhémence.

Densité et puissance musicales

Au sein d’un univers brut, sans décor, espace scénique dont l’obscurité radicale est percée, çà et là, par des rais de lumière momentanés, voix et sons nous interpellent. Des monologues se succèdent pour nous plonger dans un monde qui se refermera aussi subitement qu’il s’est ouvert, après une heure et quinze minutes d’une représentation à la théâtralité escamotée. Ici, pas de dialogues, pas de situations jouées, pas d’échanges formalisés entre les personnages, mais des pages de littérature qui sont la matière d’un théâtre-récit polyphonique. Les corps, cependant, ont toute leur place sur scène. Ceux des comédiennes, comme ceux des musiciens : tendus, droits, relâchés, se déplaçant d’un coin à un autre du plateau, ou immobiles, courbés, accroupis… Les quatre interprètes font preuve, chacun avec sa propre justesse, d’un grand investissement physique. À la faveur de ces pans d’écriture d’une acuité surprenante, notre imaginaire s’envole. Il rejoint les rues de ce Chicago populaire. On y fait donc la connaissances de Clarisse et Chloé, de leurs fillettes dont l’amitié bafoue les règles sociales, d’un inspecteur de police, du père de Chloé qui porte en lui la barbarie d’une société gangrénée par la haine raciste. On est happé par la densité musicale de ces voix qui se racontent et nous racontent, en français et en anglais, avec ou sans accent. On les suit pas à pas, dans leur mesure, puis leur accélération. Jusqu’à qu’elles s’éteignent pour laisser place à un épisode de cataclysme, vague instrumentale à pleine puissance qui achève de nous emporter.

Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Juillet 1961
du mardi 18 avril 2023 au samedi 22 avril 2023
Théâtre ouvert
159 avenue Gambetta, 75020 Paris.

Le mardi et le mercredi à 19h30, le jeudi et le vendredi à 20h30, le samedi à 18h. Durée de la représentation : 1h15. Tél. : 01 42 55 55 50. www.theatre-ouvert.com.

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