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Théâtre - Critique

« Mon Absente » de Pascal Rambert met en scène la figure de la personne disparue dans une pièce magnifique et bouleversante

« Mon Absente » de Pascal Rambert met en scène la figure de la personne disparue dans une pièce magnifique et bouleversante - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
De gauche à droite, Mélody Pini, Odéane Caïraty, Audrey Bonnet, Claire Toubin, Ysanis Padonou © Jean-Louis Fernandez

Théâtre Liberté à Toulon/Théâtre National de Strasbourg / Texte et mise en scène de Pascal Rambert

Publié le 31 mars 2023 - N° 309

Pascal Rambert met en scène son dernier texte, Mon Absente. Il y convoque une personne disparue au cours d’un long, très long tunnel éprouvant, faisant fi des rites traditionnellement conviés par le deuil et la disparition. Une bouleversante traversée des liens interfamiliaux, magnifiée par un groupe made in TNS.  

C’est une pièce initiée par Stanislas Nordey, qui commanda à Pascal Rambert un texte pour les artistes associés du TNS. Au fil du projet, la distribution s’est élargie à raison, convoquant aussi anciens élèves du Groupe 44 du TNS et Mata Gabin, qui bénéficia de l’enseignement de Véronique Nordey. « L’absente », c’est elle. Son absence est le point de départ du processus d’écriture de Pascal Rambert, qui regrettait de n’avoir jamais travaillé avec la metteuse en scène disparue en 2017. Il a imaginé comme souvent une distribution de comédiens dont les identités se confondent avec leurs personnages, constitutives d’un arbre généalogique aux racines complexes. Stanislas Nordey joue le fils de l’Absente, aux côtés des autres enfants Audrey Bonnet, Claude Duparfait, Vincent Dissez, Laurent Sauvage et Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa. Avec les cinq autres comédiens, ils gravitent autour du cercueil, symbole le plus limpide de notre langage commun pour suggérer celui qui n’est plus tout à fait là, mais pas encore tout à fait invisible. Sur un socle fleuri, l’imposante caisse de bois trône au centre du plateau, éclairée d’une douche de lumière chaude. Autour, c’est le noir, le plateau arrondi par des rideaux semi-opaques formant un couloir infini dans lequel les personnages rodent. Ici, l’Absente est plus présente que n’importe qui. Par sms qui s’affichent ou de vive voix, le dialogue se fait avec elle, mais aussi entre ceux qui restent.

« Ne m’oblige pas à te dire des choses douces »

De monologues en discussions, les personnages se succèdent sur le plateau. Retrouvailles plus ou moins amères et souvenirs s’articulent avec les sempiternels conflits familiaux traités avec une grande précision dramatique, tant dans les mots que dans le jeu. Au sein de trois générations, les discours hétéroclites témoignent chacun d’une relation particulière avec l’Absente. Une diversité de liens interfamiliaux parfois rudes, parfois touchants, se constitue, dans lesquels on retrouve indubitablement un peu de nous. Audrey se rassemble avec les petites-filles pour remercier l’héritage féministe et littéraire de l’absente ; Vincent danse, nu devant sa mère, honorant les souvenirs de fêtes partagés ensemble et la liberté permise : « la seule personne pour qui je fais tout cela c’est toi, c’est pour ta capacité à avoir dit oui un jour à nos désirs… » ; Laurent l’accable, ressassant les fois où les liens se sont brisés. Pour Stanislas, c’est une relation d’amour violent qui restera. Levant aussi certains tabous, la pièce interroge : que doit-on dire, qu’a-t-on le droit de faire, devant le cercueil ? De l’appartement du Boulevard Haussmann où les enfants grandirent aux terres d’Afrique chéries, l’Absente se recompose au gré des souvenirs. Le texte hypnotique puise sa force au plus profond des ressentiments humains jusque dans le tombeau d’où tout commence. On aurait pu trouver cet étalage d’émotions trop intime pour être dévoilé, trop peu réaliste pour être considéré ou même trop dur pour être montré mais non : ils sont formidables, tous, à incarner ce qu’il reste de plus précieux lorsqu’une vie s’arrête : le présent, et bientôt le futur.

Louise Chevillard

A propos de l'événement

Mon Absente
du mercredi 29 mars 2023 au jeudi 6 avril 2023
Théâtre National de Strasbourg
1 avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg

À 19h. Téléphone : 03 88 24 88 00. Durée : 2h. À suivre en tournée en 2023/2024.

Ce spectacle a été créé au Théâtre Liberté à Toulon le 23 mars 2023.

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