La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

François Chattot / La Veillée des grands gourmands

François Chattot / La Veillée des grands gourmands - Critique sortie Théâtre Strasbourg Théâtre National de Strasbourg
François Chattot / Crédit photo : Vincent Arbelet

Théâtre National de Strasbourg / un spectacle de François Chattot

Publié le 10 mai 2015 - N° 232

La compagnie Service Public, ainsi nommée en référence à la phrase de Vilar réclamant les conditions d’un théâtre pour tous, conduit son camion d’alimentation générale pour le corps et l’esprit sur la scène du Théâtre National de Strasbourg.

« Nous vivons ensemble un moment politique, un moment humain, un moment de vie ! » 

 Ce spectacle arrive à Strasbourg après avoir tourné dans la campagne…

François Chattot : Nous l’avons créé à Quincerot et nous avons tourné en toute légèreté dans des bourgs de Bourgogne où il n’y a rien, même pas de salle des fêtes. Une fois quitté le Théâtre Dijon Bourgogne, j’ai voulu continuer à travailler avec ces gens que j’aime : Lise Visinand, qui fêtera en mai le soixantième anniversaire de son entrée à l’école du TNS, des musiciens et des chanteurs, Daniel Fernandez, compositeur et interprète bourguignon, chef musical de la troupe, deux des Tortues Jeanines, Chloé Bosc et Fanny Miroy (avec qui j’avais fait un spectacle que nous avions tourné à mobylette dans toute la Bourgogne !), un violoncelliste, Olivier Fernandez, qui remplace Aline Dumont, la troisième tortue, pendant qu’elle s’occupe de son petit. Il y a aussi Hervé Faisandaz et Simon Guillaumeau, les deux régisseurs qui nous accompagnent et disent un texte de Louis Jouvet, hommage à la machinerie extrait de la préface qu’il avait écrite lors de la réédition du grand bouquin de Sabbattini. Et il y a aussi nos deux chefs cuisiniers, Céline Bourgeois et Hubert Anceau qui, en alternance, préparent le risotto !

Que se passe-t-il dans ce spectacle ?

F. C. : Le camion arrive et on commence à fabriquer le risotto. Je donne tout de suite aux spectateurs les carottes, les champignons, et les oignons à éplucher, et en même temps on dit nos textes et on chante des chansons. Le haut-parleur du camion annonce la couleur avec un petit texte de Michaux, qui rappelle qu’on est là pour préserver plutôt que pour construire, et dès que le hayon du camion s’ouvre, on chante un texte mis en musique par Thierry Caens et adapté de La Promesse du pire, de Viviane Forrester. Nous sommes des colporteurs de la beauté et de l’horreur du monde : notre métier consiste à conjurer la malédiction politique du temps en dansant le malheur du monde, pour donner non pas des leçons de morale mais de l’énergie. C’est ce que disait Meyerhold de notre métier : il donne de l’énergie aux spectateurs pour repartir à bloc ! Nous avons pris aussi des bouts de Tchekhov, des textes de Vaneigem, un texte de Valéry sur la fin de la civilisation, l’histoire du bonhomme misère, un conte populaire bourguignon qui raconte comment est née la misère, un texte de Strehler, le grand texte de Hugo : « Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. » Voilà : contre la puissance du totalitarisme financier qui enveloppe la planète comme un gaz incapacitant, l’argent fétichisé à l’extrême, se tient l’acteur de théâtre, nécessaire comme la parole et la vie, dans son « costume d’inquiétude et le masque d’une joie possible ».

Pourquoi cette alliance des nourritures pour le corps et l’esprit ?

F. C. : Faire goûter le risotto, c’est comme un signe, une circulation. Quand on distribue à manger, on parle avec les gens. Tout ça procède de la même chose que le texte, qu’on a ruminé et préparé. On réveille les gourmandises et quand on dit des textes plus durs, plus âpres, ils n’apparaissent pas comme des dogmes mais comme des éléments de la pensée ; ça redonne au texte sa poésie, dans la simplicité du partage et de l’écoute ; on se sent moins seul après ! Les colporteurs que nous sommes racontent ce qui se passe dans le monde : ils disent ce qu’ils ont vu, sans forcément détenir la vérité. On n’amène pas des solutions : ça, les gens savent les trouver, les inventer ! Mais nous vivons ensemble un moment politique, un moment humain, un moment de vie !

Propos recueillis par Catherine Robert

 

A propos de l'événement

La Veillée des grands gourmands
du mardi 12 mai 2015 au dimanche 24 mai 2015
Théâtre National de Strasbourg
1 Avenue de la Marseillaise, 67000 Strasbourg, France

Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 16h. Tél. : 03 88 24 88 00.

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