La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Folies coloniales

Folies coloniales - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Philippe Lacombe Légende photo : A la santé d’Abdelkader !

Publié le 10 mars 2009

Dominique Lurcel puise dans ses archives familiales et dans la mémoire nationale pour mettre à jour la honte des fiertés passées et la misère des gloires coloniales. Un spectacle terrifiant et drôle !

D’un grand-père haut fonctionnaire historiographe de la Ville de Paris, Dominique Lurcel a hérité une compilation aussi rare que précieuse : le compte rendu exhaustif de toutes les manifestations consacrées en 1930 au centenaire de l’Algérie française. Congrès, conférences, productions artistiques, soirées, poèmes, odes, expositions, concours, défilés, témoignages, discours : tout est répertorié dans cette somme étonnante de bonne foi et de paternalisme tranquille du rôle positif de la colonisation et de ses effets civilisateurs. Dominique Lurcel a extrait de ce matériau imbu de la superbe du Blanc luciférien les textes qui composent son spectacle, sorte d’inventaire sidérant qui fait frémir au premier degré et hurler de rire si on parvient à dépasser le deuxième degré ! Le metteur en scène, dont l’humanisme militant imprègne toujours ses spectacles sans se laisser jamais aller aux facilités du moralisme pontifiant, refuse intelligemment de trancher entre les points de vue. S’il est bien évident qu’en ces Folies coloniales, montrer n’est pas cautionner, il ne s’agit pas pour autant d’expliciter la bêtise et la cruauté ni d’en élucider les conditions socio-historiques et culturelles. Là est la force de ce spectacle qui laisse à celui qui le découvre le loisir de forger son propre jugement à l’écoute hallucinante du racisme ordinaire et serein d’une France globalement convaincue de sa mission émancipatrice auprès des négrillons et des melons…
 
Revue blanche du délire impérialiste
 
Les acteurs habituels de la compagnie Passeurs de mémoires composent des tableaux successifs comme en une sorte de revue blanche aux émétiques effluves. Dans et devant un petit castelet dont les toiles peintes rappellent les gravures exotiques de l’Illustration et les chromos des chatoyantes expositions coloniales, l’orientalisme kitch des amateurs de massages à la lascivité mauresque côtoie la bonne humeur rubiconde des ministres en tournées loin de la métropole. Un instituteur dont le révéré ministre fut aussi un des plus ardents défenseurs de la colonisation fait la leçon sur les bienfaits et le rayonnement de la patrie et du christianisme pacificateurs. Se déploie tout un monde d’opérette joyeusement aveugle qui mettra bien du temps à comprendre que, comme le disait Aimé Césaire dans le Discours sur le colonialisme, « la colonisation déshumanise l’homme même le plus civilisé ». C’est la paradoxale bonne conscience de cette France certaine de sa bonté que Dominique Lurcel et les siens mettent très habilement en scène, le visage du barbare apparaissant comme par éclairs sous le masque de celui qui croit réduire la barbarie. Dans une France qui hoqueta le 23 février 2005 avec la loi sur le rôle positif de la colonisation et dont le chef de l’Etat osa lors du discours de Dakar du 26 juillet 2007 des envolées lyriques sur « l’homme africain » qui recyclaient allègrement la bêtise ethnocentrique la plus crasse, ce spectacle a des vertus mémorielles et pédagogiques plus qu’indispensables…
 
Catherine Robert


Folies coloniales, spectacle conçu et mis en scène par Dominique Lurcel avec la collaboration artistique de Françoise Thyrion. Du 4 au 28 mars 2009. Mardi et jeudi à 19h30 ; mercredi, vendredi et samedi à 20h30. Grande Halle de la Villette, Salle Boris Vian, 211, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris. Renseignements et réservations au 01 40 03 75 75 et sur www.villette.com

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