Le Moche – Voir clair – Perplexe
Glissements de temps, d’espaces, [...]
La jeune Aude-Laurence Clermont Biver confie sa première pièce au metteur en scène Sei Shiomi. Une romance sur fond d’actualité politique, servie par quatre jeunes comédiens prometteurs et émouvants.
Sam, adolescente bouillonnante prise dans les affres psychologiques de son âge, se réfugie dans un wagon désaffecté pour échapper à l’incompréhension de son père et au fantôme de sa mère. Sohrab, un jeune réfugié afghan, se met à l’abri dans le cocon que Sam a tissé autour d’elle, et lui apprend à s’aimer en lui offrant son amour. Entre Pauvre petite fille riche et Martine chez les sans papiers, la bluette peine à atteindre le niveau d’incandescence des grandes histoires d’amour et de malheur qui font pleurer Margot. La pièce d’Aude-Laurence Clermont Biver a les défauts qu’ont souvent les premières œuvres : à trop vouloir en dire, elle noie l’émotion dans le pathos. Anorexie, mère défunte, père absent, jumeau mort à la naissance : on comprend que Sam aille mal, mais la psychologisation outrée de la jouvencelle dilue son héroïsme. L’écriture souffre également d’excès de lyrisme ; le texte gagnerait à être plus retenu en ses envolées poétiques.
Un quatuor talentueux et éloquent
Reste que la sincérité finit par l’emporter et que d’indéniables moments de grâce sauvent l’ensemble. Sur les sans papiers, on préfèrera évidemment l’indignation lucide d’Emmanuel Terray. Mais force est de saluer la jeunesse quand elle aime, malgré l’abjection des décisions politiques du moment et du traitement réservé à ceux pour qui l’asile devient prison. Les quatre jeunes comédiens interprètent leurs rôles avec une vérité poignante. Marion Petit-Pauby, Ivan Cori, Jean Dutelle et Shohreh Sabaghy campent Sam, Sohrab et leurs doubles. Les deux personnages sont accompagnés par leurs ombres – leurs âmes peut-être – qui expriment par la danse et l’acrobatie l’amour que les deux tourtereaux n’osent s’avouer. Ce pas de côté, habilement mis en scène par Sei Shiomi, évite le traitement naturaliste et offre aux deux héros une profondeur intéressante. Malheureux enfants d’un siècle qui élève sa jeunesse au mépris du souci de l’autre, Sam et Sohrab ont l’intelligence de comprendre qu’on se connaît mieux par le regard de l’autre. Ces anthropologues en baskets ont finalement la fraîcheur, la curiosité et la tolérance qui manquent à notre époque : les acteurs enthousiastes qui les incarnent finissent par les rendre touchants et sympathiques.
Catherine Robert
Du 15 février au 25 mars 2015. Du lundi au mercredi à 21h ; dimanche à 20h. Tél. : 01 42 33 42 03. Durée : 1h30.
Glissements de temps, d’espaces, [...]