Jérémie Le Louët présente « La Montagne cachée » d’après Le Mont Analogue de René Daumal

« Le point de départ de notre création est un roman de René Daumal, sorte d’enfant spirituel d’Alfred Jarry. Le Mont Analogue est une œuvre culte (inachevée car Daumal est mort pendant sa rédaction), qui a servi de repère à bien des artistes, de Patti Smith à Philippe Parreno ou à Alejandro Jodorowsky, qui l’adapta au cinéma en 1973. On rapporte même que c’était le livre de chevet de François Mitterrand ! Le roman raconte l’histoire de gens ordinaires qui, en pleine impasse existentielle, décident de fuir la société et partent à la recherche d’une montagne dont le sommet serait le point de connexion entre le monde des vivants et l’au-delà. À l’instar des personnages, nous avons nous aussi ressenti cette impasse et eu besoin d’en témoigner avec nos mots. Ce roman mythique n’est pas un matériau théâtral évident ; il a plutôt été une porte d’entrée, la source d’inspiration d’une écriture collective.

Sortir de l’impasse

Nous aimons questionner l’héritage et la tradition, dialoguer avec les fantômes, explorer la langue et les situations théâtrales. L’histoire du Mont Analogue s’est imposée à l’équipe parce qu’elle cristallise notre ressenti d’une époque. J’ai pris conscience de son universalité en réalisant qu’on pouvait la rattacher à trois épisodes bibliques : la sortie d’Égypte, quand un guide spirituel promet la liberté à des esclaves et finit par errer avec eux 40 ans dans le désert ; la chute de Babel, quand les difficultés amènent à ne plus parler la même langue ; et l’épisode du déluge : le monde est mourant, Noé construit une arche, mais les places sont limitées. Et puis l’analogie entre alpinisme et création théâtrale est frappante : sélection de l’équipe, recherche de partenaires et de financements, préparation logistique, gestion des egos, solidarité, rapports de force… Les Dramaticules ont fêté leurs 20 ans l’an dernier. Nous sommes maintenant un groupe ancien : nous connaissons les doutes, les épreuves et les exaltations de l’aventure collective. Le spectateur, lui aussi, accepte les risques du voyage et prend son billet sans connaître la destination. Dans le temps de la représentation, acteurs et spectateurs partent en expédition et s’efforcent, ensemble, de s’élever le plus haut possible, pour regarder le monde et tâcher d’y voir un peu plus clair. »

Propos recueillis par Catherine Robert