La Terrasse

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Marina Davydova

Marina Davydova - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 décembre 2008

En Russie, indifférence politique absolue

Formée à l’Académie russe des arts du théâtre (GITIS), Marina,membre du comité directeur du Forum, Davydova est journaliste, critique dramatique pour le quotidien russe Izvestia et directrice artistique du festival de théâtre moscovite Net. Déplorant l’indifférence du pouvoir de son pays à l’égard de l’art dramatique, Marina Davydova porte un regard très critique sur la scène russe contemporaine.     
 
Quelles sont les relations qui lient, aujourd’hui, le théâtre et le pouvoir politique en Russie ?
Marina Davydova : Etant pratiquement tous subventionnés par les pouvoirs publics, les théâtres russes dépendent des ressources de l’Etat. Il y a vraiment très peu d’exception à cette règle. Fondamentalement, ce système paternaliste n’a d’ailleurs pas évolué depuis l’ère soviétique. Cependant, si le pouvoir communiste était très impliqué dans le théâtre – dictant aux artistes non seulement des règles idéologiques, mais également des règles esthétiques – les autorités russes d’aujourd’hui ne s’intéressent d’aucune façon à ce qui se passe sur les scènes de théâtre. Elles sont beaucoup trop occupées à censurer les médias de masse pour cela. Aujourd’hui, l’Etat russe considère le théâtre comme un art inoffensif et marginal, un art qui n’a aucune influence sur l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle il existe, finalement, une grande liberté dans le monde théâtral russe contemporain. Mais cette liberté ne sert pas à grand chose, puisque ni les metteurs en scènes ni les spectateurs ne s’intéressent aux sujets sociaux et politiques.
 
Ce désintérêt touche-t-il également les autres disciplines artistiques ?       
M. D. : Oui, ce qui se passe dans le domaine du théâtre est emblématique de la perte de conscience qui a gagné, en quelques années, l’ensemble des milieux artistiques russes. Nous vivons ici dans une indifférence généralisée. L’art russe a perdu toute perspective d’engagement parce que la société russe elle-même est devenue passive. Mais, cette tendance globale semble encore plus prononcée au sein du monde théâtral. Ceci peut sans doute s’expliquer par le fait que la Russie, durant les dernières décennies du socialisme (dans les années 1970 et 1980), était un pays profondément centré sur l’art dramatique. A cette époque, la foi religieuse était au plus bas et la société civile complètement inexistante. Le théâtre est donc devenu, pour certaines personnes, une sorte de substitut de l’Eglise.
« Aujourd’hui, l’Etat russe considère le théâtre comme un art inoffensif et marginal. »
 
Pour d’autres, le théâtre a pallié l’absence d’une presse libre et d’un parlement démocratique. En fait, durant toutes ces années, le théâtre a rempli de nombreuses fonctions qui n’étaient pas les siennes. Mais lorsque le régime communiste s’est effondré, lorsque le parlement est devenu un vrai parlement, lorsque la presse et l’art se sont libérés, le théâtre a perdu toutes ces fonctions et l’intérêt pour la vie réelle a repris le dessus. L’art dramatique s’est alors isolé. Aujourd’hui, le spectateur regarde le théâtre comme un monde magique entièrement dédié à la beauté. Pour le public occidental, aller au théâtre peut représenter une forme d’activité sociale. Pour le public russe, il s’agit avant tout d’une façon d’échapper à la réalité.
                                                                                                       
Quelles sont, selon vous, les principales forces et faiblesses du théâtre russe d’aujourd’hui ?
M. D. : Le principal atout du théâtre russe me semble être sa grande tradition de formation théâtrale (particulièrement de formation de l’acteur). L’école russe est, aujourd’hui encore, considérée comme l’une des meilleures au monde. Elle permet à ses étudiants d’acquérir de grandes compétences techniques et artistiques. Quant à la principale faiblesse de notre théâtre, elle réside selon moi dans le mur qui le sépare de la vraie vie. L’art dramatique russe vit totalement coupé du monde. De cette tendance à l’isolement sont nés deux genres de théâtre distincts. Le premier est un théâtre de musée qui vénère les traditions du passé. Le second est un théâtre résolument commercial. De façon paradoxale, alors que le rôle social du théâtre était très important sous l’ère soviétique, dans des conditions de grande pression idéologique, ce rôle est à présent pratiquement réduit à néant. Les autorités sont indifférentes au théâtre et le théâtre est indifférent aux aspects sociaux de la vie. Indifférence politique absolue : voici les trois mots qui me semblent décrire parfaitement la condition actuelle de la scène théâtrale russe. 
 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

 


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