La place de l’autre
Reprise de Nathan le sage de Lessing, création du Barbier de Séville de Beaumarchais et des Oranges d’Aziz Chouaki : Laurent Hatat, metteur en scène associé au Théâtre du Nord, continue de mettre en perspective les questions de l’émancipation et de l’altérité.
Existe-t-il, pour vous, des points de rencontre entre Nathan le sage et Le Barbier de Séville ?
Laurent Hatat : Tout d’abord, il faut savoir queLessing et Beaumarchais partagent tous deux une véritable passion pour le drame. L’un comme l’autre se reconnaissent en Diderot et sa révolution du genre sérieux. Et puis, d’une certaine façon, leurs deux pièces traversent des questions identiques : celles de l’inégalité, du rapport à l’autre, de l’émancipation. Qu’il s’agisse de Rosine ou de Figaro, Le Barbier de Séville est le récit de deux émancipations ratées.
Ne considérez-vous pas cette pièce comme une comédie ?
L. H. : Si, mais comme une « comédie authentique et sans tendresse ». Comme dans la vie, les choses ne sont ni tout à fait roses, ni tout à fait noires, ce qui rappelle beaucoup l’univers de Lessing. Je souhaite raconter le parcours de chaque personnage en mettant en perspective les enjeux réels de son existence. Cela afin que les spectateurs soient libres d’interpréter cette pièce comme ils l’entendent.
La question de la « place de l’autre » semble une préoccupation essentielle pour vous. S’agit-il de l’un des prismes de lecture de votre mise en scène ?
L. H. : Absolument. Le choix d’Azeddine Benamara pour interpréter Figaro n’est, de ce point de vue, pas un hasard. Ce choix nous situe devant une double problématique : celle de la place que l’on fait à l’étranger dans la société et celle de la place que l’on fait à la femme. Quant à l’espace scénique, j’ai cherché à abandonner toutes les dimensions pittoresques de la pièce, tout le décorum, pour ne montrer que la quintessence et la cruauté des rapports entre les personnages.
Quelles sont les implications de ce parti pris en terme de direction d’acteur ?
L. H. : Nous avons travaillé sur le principe de l’incarnation légitime. J’entends par là un travail qui consiste à poser comme enjeu essentiel une prise en charge du texte qui le rende totalement légitime et jamais conventionnel pour une oreille d’aujourd’hui.
« Je crois que l’on a tourné trop vite la page de la colonisation. »
Pour cela, il faut avoir une vigilance de chaque instant. Au théâtre, parfois, des choses sont dites sans que l’on sache d’où elles viennent, où elles vont et donc à quoi elles servent. En cherchant cette légitimité, je souhaite investir toute la vivacité de l’écriture de Beaumarchais.
Est-ce, pour vous, l’un des moyens qui permet de « rendre au plateau la modernité du Barbier » ?
L. H. : Oui, car par le biais de cette vivacité, je tiens à m’emparer des questionnements contemporains qui traversent cette pièce : la façon dont notre société se comporte avec les enfants des colonisés venus vivre ici, le rapport à la différence, la question de la tolérance… La modernité du Barbier passe par l’instinct de vie qui se dégage de tous ses personnages, par la force vitale qui les pousse à agir dans un monde pourtant organisé autour d’inégalités. Je crois que l’on a trop vite tourné la page de la colonisation. Nous sommes en train de comprendre qu’il est grand temps que la société post-coloniale dans laquelle nous vivons se mette à regarder son passé en face.
C’est ce qui vous a incité à mettre en scène Les Oranges ?
L. H. : Oui. C’est Azeddine Benamara qui m’a proposé de mettre en scène ce texte d’Aziz Chouaki. Il interprète, aux côtés de Mounya Boudiaf, un personnage qui nous raconte sa vie, depuis le début de la colonisation française en Algérie jusqu’à nos jours. Les Oranges illustrent parfaitement ce que je viens de dire à propos du voile que l’on a posé sur notre passé colonial. Il suffit de traverser la Méditerranée pour se rendre compte que rien n’a jamais vraiment été résolu.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Nathan le sage, de Gotthold Ephraïm Lessing ; mise en scène de Laurent Hatat. Du 6 au 9 octobre 2009.Aubervilliers, Théâtre de la Commune : du 14 au 24 octobre 2009, Creil, la Faiencerie : les 5 et 6 novembre 2009, Draguignan, Théâtres en Dracénie : le 24 novembre 2009, Istres, Théâtre de l’Olivier : le 28 novembre 2009
Marseille, Théâtre National de la Criée : du 3 au 5 décembre 2009
La Précaution inutile ou Le Barbier de Séville, de Beaumarchais ; mise en scène de Laurent Hatat. Du 20 janvier au 5 février 2010. Ribeauvillé, Théâtre alsacien : le 27 février 2010, Rungis : le 12 mars 2010 , Clamart, Théâtre Jean Arp: du 16 au 27 mars 2010, Oullins, Théâtre de la Renaissance : du 30 mars au 2 avril 2010, Dunkerque, Le Bateau feu : du 20 au 22 avril 2010
Et aussi : Les Oranges, d’Aziz Chouaki ; mise en scène de Laurent Hatat. Du 7 avril au 5 juin 2010, au Lucernaire à Paris.