La Terrasse

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Gloria Paris

Gloria Paris - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2009

C’est pas pour me vanter

Avec La Grammaire et 29 degrés à l’ombre, Gloria Paris, artiste associée au Théâtre du Nord, ressuscite deux courtes pièces, véritables concentrés de vaudeville. Quand un bourgeois, Eugène Labiche, s’attaque à ses congénères sous le regard d’une artiste venue d’Italie, pays de la frime, l’humour forcément devient féroce…

Après Molière, Ibsen, Copi, Marivaux, Goldoni, pourquoi se tourner vers Labiche ?
Gloria Paris : En 99, tandis que je montais Hedda Gabler, je me suis aperçue que tout le premier acte de la pièce, avec la description de l’intérieur bourgeois, était travaillé par le vaudeville. Puis, la théâtralité surréaliste et les situations cocasses d’Eva Peron ont achevé de me persuader que le schéma du vaudeville travaille encore le théâtre moderne. Ce genre est intemporel. D’ailleurs, Claude Lévi-Strauss en était féru, car il y retrouvait la description de comportements enracinés dans cet animal social qu’est l’homme.
 
En quoi ce genre vous séduit-il ?
G.P : Les enjeux sont serrés, ça va vite : on est tout de suite au coeur du problème, et j’aime cette respiration rapide au théâtre. De plus, c’est un genre basé sur le mensonge, qui constitue un très bon mécanisme de comédie. Nous avons regroupé les pièces sous le titre : C’est pas pour me vanter, tiré d’une réplique de 29 degrés à l’ombre, car la vantardise est au coeur de ces deux pièces. Le bourgeois, à l’instar de Matamore, adore fanfaronner.
 
Pourquoi avoir choisi ces deux pièces ?
G.P : Yannic Mancel, qui est un spécialiste de Labiche, m’a servi de guide pour trouver ces deux petits bijoux. Les actions se déroulent en région parisienne, mais à l’époque, c’était loin de Paris. Dans La Grammaire, il s’agit d’un président de comice agricole qui veut cacher sa « tare » : il ne sait pas écrire. Dans 29 degrés à l’ombre, des bourgeois jouent au tonneau, sorte d’ancêtre du flipper, et ceux qui perdent doivent cotiser pour la construction d’une école. La réunion des deux pièces illustre les profondes contradictions qui habitent les rapports de la bourgeoisie au savoir. Dans l’une, le personnage dissimule sa honte de l’ignorance, mais dans l’autre, on ne consent à donner de l’argent pour instruire que parce qu’on a perdu au jeu ! Cette attitude résonne puissamment aujourd’hui, quand on ne veut plus financer les écoles et les universités qu’en fonction de ce qu’elles rapportent.
 
«  L’enfermement dans un monde étriqué qui ne fait que suivre ce qui est écrit »
 
Quel traitement envisagez-vous de cet univers fin 19ème ?
G.P : Aujourd’hui le bourgeois n’a plus le gros ventre, mais il travaille ses tablettes au Gymnase Club. Je viens d’Italie, un pays où l’apparence est très importante, et ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qu’elle cache. Pour 29 degrés à l’ombre, j’ai envie de représenter des bourgeois très à l’aise, frimeurs, et complètement coincés dans leurs peurs. Mais il me semble plus intéressant de les ridiculiser par le jeu que par le costume ou par le décor. Je chercherai donc à tirer les stéréotypes contemporains vers une stylisation. Les espaces seront épurés et pas du tout connotés 19ème. Mon passé dans le travail des masques me conduit à préférer un jeu investi physiquement où c’est le corps de l’acteur qui dessine l’espace.
 
Comme dans Les Amoureux de Goldoni?
G.P : Effectivement. Chez Labiche et Goldoni, il y a du Molière. Et chez Molière, il y a beaucoup de commedia dell’arte. Même si je n’en utilise pas sur scène, le masque fonctionne toujours pour moi comme une loupe : il pousse les caractères à l’extrême. J’aime regarder les personnages avec cette loupe. C’est un bon moyen pour en faire sortir toute la violence et la cruauté.
 
Ces comédies ont donc pour vous une certaine noirceur ?
G.P : La noirceur, c’est l’enfermement dans un monde étriqué qui ne fait que suivre ce qui est écrit. Les personnages sont enfermés dans leur vide, soumis à des valeurs et des modèles de réussite proches de ceux qu’on nous propose. Comme au cinéma, dans la comédie italienne des années 60, j’aime cet endroit difficile à saisir, profondément humain, où la comédie tourne au drame et à la tragédie.

Propos recueillis par Eric Demey


C’est pas pour me vanter :  La Grammaire et 29 degrés à l’ombre d’Eugène Labiche, mis en scène par Gloria Paris, du 20 novembre au 3 décembre 2009.C’est pas pour me vanter d’Eugène Labiche, mise en scène Gloria Paris, Théâtre de Rungis : les 11 et 12 décembre 2009, L’Avant-Seine de Colombes : le 18 décembre, Théâtre de Saint Germain en Laye : le 12 janvier 2010, Centre Culturel d’Ormesson : le 23 janvier 2010, Théâtre de Dourdan: le 30 janvier 2010, Théâtre de Vienne : les 4 et 5 février 2010
 

Les Amoureux, de Goldoni, mis en scène par Gloria Paris : Tarbes, le Parvis, le 25 et 26 mars 2010. Cahors, les 6 et 7 avril. Macon, scène nationale : le 29 avril. Théâtre du jeu de Paume : Du 4 au 8 mai. Laval : le 18 mai.

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